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moins crédules, hésitaient à croire à ces merveilles. De ceux-là, le vieux Martin-l’Avisé fut l’organe et, s’adressant à ses compagnons : — Mes amis, ce chevalier monté sur un petit cheval noir qui ressemble à un bourriquet, ce chevalier vous l’a dit: « Il faut aller dans ce pays-là pour croire à ces merveilles en les voyant ; » or, selon moi, mieux vaut y croire que d’y aller voir ; ce n’est point le tout de partir, il faut revenir.

— Le vieux Martin a raison, — reprirent quelques serfs ; — ce n’est point le tout de partir, il faut revenir.

— Et puis, — ajoutait un autre serf, — ces Sarrazins ne se laisseront point dépouiller sans regimber, et il y aura là de bons horions à recevoir...

Ces paroles échangées à voix haute n’inquiétèrent pas l’aventurier gascon, il tira sa fameuse épée la Commère-de-la-foi et indiquant de sa pointe les peintures dont son bouclier était orné, il s’écria de son accent joyeux et entraînant : — Mes bons amis, voyez-vous, ce pauvre homme, son bâton à la main ? Il part pour la Terre-Sainte, sa pochette aussi vide que son ventre, son bissac aussi creux que ses joues ; il est si dépenaillé qu’on croirait qu’une bande de chiens a houspillé ses chausses !... le voyez-vous, ce pauvre homme ?

— Oui, oui, — crièrent les serfs tout d’une voix, — nous le voyons !

— Et maintenant, mes amis, que voyez-vous ? — reprit l’aventurier gascon en touchant de la pointe de son épée l’autre peinture du bouclier. — Voici encore notre pauvre homme ! Vous ne le reconnaissez pas ? Je le crois bien ! par l’ondoyante crinière de mon cheval Soleil-de-Gloire ! il n’est plus reconnaissable, ce pauvre homme ! et pourtant c’est lui ! Le voici, la joue vermeille, vêtu comme un seigneur et crevant dans sa peau ? à ses côtés il a une belle esclave sarrazine, tandis qu’à ses pieds un chien de Sarrazin vient déposer ses trésors ! Eh bien ! mes amis, cet homme si pauvre, si dépenaillé en son pays, c’est vous, c’est moi, c’est nous tous... et ce même com-