— Veux-tu pas que je me raille aussi des reliques ? — s’écria Neroweg VI d’un ton courroucé. — Sans les reliques qui me défendent, tu m’aurais déjà peut-être entraîné au fin fond des enfers ! Oui, car souvent, aussi vrai que le Christ est mort et ressuscité, je crois que tu es le diable en personne !
— Hé !... qui sait ?
— L’enfer, ta patrie, le sait ! Tu n’as rien d’humain, tes lèvres sont blanches et froides comme le marbre !
— Quand un amour partagé embrasera mes veines, mes lèvres deviendront pourpres et mes baisers de feu !
— Oh ! je le sais, tu ne m’as jamais aimé !
— T’aimer... toi ! autant aimer le loup des bois. Tu m’as faite captive ; j’ai cédé à ta violence ! Ah ! l’homme que j’aurais adoré, puisque sans l’avoir vu je l’aimais sur son renom, c’était Wilhem IX, le beau duc d’Aquitaine ! le poëte dont les chants amoureux font l’envie des plus fameux trouvères.
— Wilhem ! — s’écria Neroweg VI avec un accent de jalousie féroce ; — ce sacrilège ! cet impudique effronté qui porte peint sur son bouclier le portrait de Malborgiane, sa maîtresse !
— Wilhem IX est ton suzerain... tu l’envies et tu le crains : il est jeune, beau, impie, audacieux, spirituel et gai ; toutes les femmes rêvent de lui en disant ses vers, et tous les hommes le redoutent. Ose donc l’attaquer ? il ne laisserait pierre sur pierre de ton château, te ferait courber mains et genoux à terre, te mettrait une selle sur les reins et chevaucherait sur ton dos, cent pas durant (R), selon le droit du suzerain sur son vassal révolté. Va ! tu es au beau duc d’Aquitaine ce que la vorace et lourde buse est au noble faucon qui, chaperonné d’écarlate, s’élance vers le soleil en faisant tinter ses clochettes d’or ! — Neroweg VI poussa un cri de rage et, tirant son poignard, se précipita sur Azenor-la-Pâle ; mais sa figure de marbre resta impassible, ses lèvres blanches sourirent de dédain, et elle dit au seigneur de Plouernel : — Tue-moi donc !