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comme un dernier adieu ; puis, le serf, prenant sur son épaule son lourd marteau et son pic de fer, se dirigea vers les rochers où aboutissait l’issue secrète du manoir seigneurial.




Le lendemain du jour où Fergan-le-Carrier avait résolu de pénétrer dans le château de Plouernel, un assez grand nombre de voyageurs, partis de Nantes depuis la veille, faisaient route vers les frontières de l’Anjou ; des personnes de conditions diverses composaient cette troupe. On y voyait des pèlerins, reconnaissables aux coquilles attachées à leurs robes, des vagabonds, des mendiants, des colporteurs chargés de leurs balles de marchandises ; l’on pouvait ranger parmi les trafiquants un homme de grande taille, à la barbe et aux cheveux d’un blond jaune, portant sur son dos une boîte surmontée d’une croix et couverte de peintures grossières représentant des ossements humains, tels que crânes, os de bras, de jambes et de doigts. Cet homme, nommé Harold-le-Normand, se livrait, ainsi que bon nombre de descendants des pirates du vieux Rolf, au commerce des reliques (O), sur lesquelles ils larronnaient outrageusement, donnant aux fidèles, pour de saints débris, les ossements qu’ils enlevaient, durant la nuit, aux gibets seigneuriaux. Non loin d’Harold-le-Normand marchaient deux moines ; lorsqu’ils se parlaient, ils échangeaient les noms de Simon et de Yeronimo. Le capuchon abaissé du froc de Simon cachait complètement sa figure ; mais le capuchon de Yéronimo, rabattu sur ses épaules, laissait voir le brun et maigre visage de ce moine, que ses gros sourcils, aussi noirs que sa barbe, rendaient d’une dureté farouche. À quelques pas derrière ces prêtres venait, monté sur une belle mule blanche, aux formes rebondies, au poil lustré, brillant comme de l’argent, un citadin de Nantes. Son négoce était de trafiquer par mer avec l’Espagne et l’Angleterre ; on le nommait Bezenecq-le-Riche, en raison de ses grands biens. Encore dans la force de l’âge, d’une figure ouverte, intelligente et affable,