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Marthe passa la tête, tandis que sa fille, appuyée sur son épaule, hésitait encore à regarder au dehors ; heureusement pour la douce enfant, il ne s’agissait pas de l’une de ces poursuites sauvages, meurtrières, auxquelles les bons catholiques se livraient d’habitude dans leur hébêtement cruel, contre les pénitents qu’ils regardaient, ces tendres fils de l’église, comme des animaux immondes. Voici la cause du tumulte : la rue étroite et bordée de maisons de bois couvertes de chaume comme celle d’Eidiol, n’offrait qu’un passage resserré ; une pluie abondante, tombée la veille, ayant détrempé le sol, un grand chariot, attelé de quatre bœufs et pesamment chargé de bois, s’était embourbé ; l’attelage, impuissant à retirer la voiture de cette pro-fonde ornière, barrait complètement la rue, et s’opposait au passage de plusieurs cavaliers venant en sens inverse ; à leur tête marchait un noble seigneur frank, Roth-bert, Comte de Paris et Duc de France, frère d’Eudes qui, avant sa mort, s’était fait couronner roi, au détriment de Karl-le-Sot, aujourd’hui régnant. Roth-bert, escorté de cinq à six cavaliers, se trouvait arrêté dans sa marche par le chariot embourbé ; ce comte, à la mine hautaine et dure, portant toujours casque et cuirasse, jambards, cuissards et gantelets de fer, comme s’il allait en guerre, montait un grand cheval noir. Il vitupérait contre le chariot, son attelage de bœufs et le pauvre serf, leur conducteur, qui, épouvanté des menaces de ce seigneur, s’était caché sous la voiture. Le comte de Paris, de plus en plus courroucé, dit à l’un de ses hommes : — Pique ce vil esclave avec le fer de ta lance, et force-le de déguerpir de dessous le chariot ; tu châtieras ensuite ce misérable !

Le guerrier mit pied à terre, et armé de sa lance, il se baissa, tâchant d’atteindre le serf qui, courbé sur les mains et sur les genoux, recula vivement ; le Frank irrité blasphémait en plongeant sa lance sous le chariot, lorsqu’elle fut heurtée par le fer très-aigu d’un croc emmanché d’une longue perche qui sortit de dessous la voiture, et en même temps, une voix ferme et sonore s’écria : — Si les ca-