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en gémissant, — je vais perdre mon mari ! — Et de nouveau elle sanglota ; les sanglots et le bruit des pas du serf interrompaient seuls le silence de la nuit. Le foyer s’éteignit ; mais la lune, alors levée, jetait ses pâles rayons dans l’intérieur de la hutte, à travers l’intervalle des perches et des bottes de genêts qui remplaçaient la toiture incendiée ; ce nouveau silence dura longtemps. Jehanne-la-Bossue ayant réfléchi, reprit avec un accent presque rassuré : — Tu veux, Fergan, aller cette nuit... au château... (et elle frissonna en disant château)... Heureusement, c’est impossible... tu ne pourrais y entrer. — Puis, comme le serf ne discontinuait pas de marcher sans prononcer une parole, Jehanne, prenant à tâtons la main de son mari qui revenait près d’elle, voulut le retenir en disant : — Pourquoi ne pas me répondre ? cela m’effraye. — Mais il retira brusquement sa main et repoussa sa femme en s’écriant d’une voix irritée : — Laisse-moi !

La faible créature alla tomber à quelques pas de là parmi des décombres ; et sa tête ayant heurté contre un morceau de bois, elle ne put retenir un cri de douleur ; ce cri navra Fergan ; il se retourna, et à la clarté de la lune il vit Jehanne se relever péniblement. Il courut à elle, l’aida à se rasseoir sur l’une des pierres du foyer, disant avec angoisse : — Tu as crié... tu t’es donc blessée en tombant ?

— Non... non...

— Ma pauvre Jehanne ! — s’écria le serf alarmé, car il avait porté une de ses mains au front de sa femme, — ta tempe est humide, tu saignes !

— C’est que j’ai pleuré, — reprit-elle doucement et essuyant sa blessure avec une mèche de ses longs cheveux en désordre, — ce n’est rien !

— Tu souffres ! et j’en suis cause !

— Non, non, je suis tombée parce que je suis faible, — répondit Jehanne avec sa mansuétude angélique ; — ne pensons plus à cela ;