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dans une seigneurie voisine (J), et tant d’autres énormités ! Faut-il donc toujours vous rappeler, misérables, que vous appartenez à votre seigneur à vie et à mort, corps et biens, que tout en vous lui appartient, les cheveux de votre tête, les ongles de vos mains, la peau de votre vile carcasse ; tout, jusqu’à la virginité de vos femmes !

— Hélas ! bon maître Garin... — se hasarda de répondre, sans oser lever les yeux, un vieil serf nommé Martin-l’Avisé, en raison de sa subtilité, — hélas ! nous le savons, nos vénérables prêtres nous le répètent sans cesse ; nous appartenons âme, corps et biens aux seigneurs que la volonté de Dieu nous envoie. Seulement on dit...

— Que dit-on ? — s’écria Garin ; — qui ose dire quelque chose ?

— Oh ! ce n’est point nous ! — se hâta d’ajouter Martin-l’Avisé ; — non, non, ce n’est point nous !

— Qui donc est-ce alors ?

— C’est... c’est Fergan-le-Carrier.

— Et où est-il ce coquin ? Je ne le vois pas, en effet, parmi vous ce soir.

— Il sera resté à tirer de la pierre à sa carrière, — reprit une voix timide ; il ne quitte son travail qu’à la nuit noire.

— Et que dit Fergan-le-Carrier ? — reprit le baillif ; — oui, que dit-il, ce bon apôtre ?

— Maître Garin, — reprit le vieil serf, — Fergan reconnaît que nous sommes il est vrai serfs de notre seigneur, que nous sommes forcés de cultiver à son profit les terres où il lui a plu de nous attacher pour jamais nous et nos enfants ; notre devoir est encore, par surcroît, de labourer, d’ensemencer, de moissonner les terres du château (K), de faire le guet dans les maisons fortes de sa seigneurie (L), de...

— Assez, assez ! nous savons nos droits ; mais que dit-il ensuite, Fergan-le-Carrier ?

— Il dit... et c’est lui au moins qui parle ainsi, non point nous...

— Non, non, ce n’est pas nous, maître Garin ! — s’écrièrent ces