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l’Apocalypse : « Au bout de mille ans, Satan sortira de sa prison et séduira les peuples qui sont aux quatre angles de la terre ; le livre de la vie sera ouvert ; la mer rendra ses morts ; l’abîme infernal rendra ses morts ; chacun sera jugé par celui qui est assis sur un trône resplendissant, et il y aura un ciel nouveau et une terre nouvelle. »

— Tremblez, peuples ! — dirent les prêtres ; — les mille ans annoncés par saint Jean seront écoulés à la fin de cette année-ci ! Satan, l’antechrist, va venir ! Tremblez ! le clairon du dernier jugement va retentir, les morts vont se lever de leur sépulcre, l’Éternel, au milieu des éclairs et des foudres, entouré d’archanges aux épées flamboyantes, va vous juger tous ! Tremblez ! grands de la terre ! pour conjurer le courroux implacable du Tout-Puissant, donnez vos biens à l’Église, il en est temps encore, il sera temps jusqu’au dernier jour, jusqu’à la dernière heure, jusqu’à la dernière minute de cette redoutable année-ci ! Donnez vos biens, vos trésors, aux prêtres du Seigneur, son image vivante ici-bas ; donnez tout à l’Église catholique, l’impérissable sanctuaire de la divinité !

Ces seigneurs, non moins abrutis que leurs serfs par l’ignorance et par la peur du diable, espérant conjurer la prochaine vengeance de l’Éternel, écoutant la voix des prêtres, donnèrent à leurs églises : terres, maisons, châteaux, serfs, troupeaux, splendide vaisselle, bel or monnayé, riches armures, somptueux vêtements, ils donnèrent tout jusqu’à leur chemise, après quoi, s’habillant d’un sac, couchant dans la cendre, mendiant une poignée de fèves à la porte des châteaux qu’ils avaient abandonnés à l’Église, ils chantaient en chœur : — « Nous avons pillé, violé, torturé, massacré ; mais nous avons abandonné nos biens aux hommes de Dieu, sa vivante image sur la terre ; nous irons avec les justes ! nous irons avec les anges ! »

Les hommes de Dieu, de leur côté, trinquaient, ripaillaient, faisaient l’amour, se disant : — Rions des sots, nargue des crédules ! buvons leur vin, empochons leur or, dormons sous leurs courtines, retranchons-nous, armons-nous dans leurs châteaux-forts, et faisons