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cette partie du château. — Marceline, — lui dit Yvon, — j’ai à causer avec toi, entrons chez ta maîtresse, de longtemps elle ne quittera pas la reine, nous ne serons pas interrompus, viens. — La jeune fille ouvrit de grands yeux en entendant le Bestial s’exprimer pour la première fois d’une manière sensée, puis ses traits n’avaient plus leur expression d’hébétement accoutumé ; aussi dans son saisissement, la jeune fille ne put d’abord répondre à Yvon, qui reprit en souriant : — Marceline, mon langage t’étonne ? c’est que, vois-tu, je ne suis plus Yvon-le-Bestial, mais... Yvon qui t’aime !

— Yvon qui m’aime ! — s’écria la pauvre enfant presque avec effroi, — Jésus mon Dieu ! c’est de la sorcellerie !

— Alors, Marceline, tu serais la sorcière ; mais écoute-moi, lorsque tu m’auras entendu, tu me répondras si tu veux, oui ou non, nous marier. — En disant ces mots, le serf entra dans la chambre où Marceline le suivit machinalement. Elle croyait rêver, ne quittant pas le Bestial des yeux, trouvant sa figure de plus en plus avenante ; elle se souvenait alors que plusieurs fois, frappée de la douceur et de l’intelligence du regard d’Yvon, elle s’était demandé comment un pareil regard pouvait être celui d’un idiot.

— Marceline, — reprit-il, — pour faire cesser ta surprise, il me faut te dire quelques mots de ma famille.

— Oh ! parle, Yvon, parle ! je suis si heureuse de t’entendre t’exprimer comme une personne raisonnable !

— Eh bien donc, ma douce Marceline, mon arrière-grand-père, marinier de Paris, se nommait Eidiol, il avait un fils et deux filles. L’une d’elles, Jeanike, volée toute petite à ses parents, fut vendue comme serve à l’intendant de ce domaine ; plus tard elle devint nourrice de la fille de Karl-le-Sot, dont le descendant, Ludwig-le-Fainéant, est mort tout à l’heure.

— Il est donc vrai ? le roi est mort ; quoi ! si promptement ?

— Marceline, les rois franks ne sauraient jamais trop promptement mourir ; revenons à Jeanike, fille de mon bisaïeul : elle