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— À quoi bon garder des richesses périssables, puisque toutes choses doivent périr bientôt ?

— Mais alors, cher seigneur, si tout doit périr, que ferait l’Église des biens qu’elle demande chaque jour à la foi des fidèles ?

— Après tout, vous avez raison, c’est sans doute une nouvelle fourberie de l’Église. Quoi d’étonnant, quand on voit des évêques adultères pousser les femmes à empoisonner leurs maris !

— Encore ces lugubres pensées, cher seigneur ! Oubliez donc, de grâce, ces indignes calomnies sur votre mère… Dieu juste ! une femme se rendre coupable du meurtre de son mari ! non, non, c’est impossible !

— Impossible ! N’ai-je donc pas assisté à l’agonie, à la mort de mon père ? Oh ! l’effet de ce poison qui l’a tué était étrange… terrible ! — ajouta le roi d’un air pensif et sombre. — Mon père a senti ses pieds se refroidir, se glacer, devenir inertes, incapables de le soutenir ; puis cet engourdissement mortel a envahi lentement ses membres et son corps, comme si on l’eût plongé peu à peu, disait-il, dans un bain glacé !

— Hélas ! il est des maladies si soudaines, si peu connues, mon aimable maître, qu’il faut se garder d’accuser légèrement… Moi, lorsqu’il s’agit de pareils crimes, je suis de ceux qui disent : Quand je vois, je crois ; quand je n’ai pas vu, je doute.

— Ah ! moi je n’ai que trop vu ! — s’écria Ludwig, et cachant de nouveau son visage entre ses mains, il ajouta d’une voix lamentable : — Je ne sais pourquoi ces pensées de mort me poursuivent aujourd’hui ?

— Ludwig, ne pleurez pas ainsi, vous me déchirez le cœur. Cette tristesse est une injure à ce beau jour de mai ; voyez par la croisée ce brillant soleil, voyez la verdure printanière de la forêt ; écoutez le gai ramage des oiseaux. Quoi ! tout est animé, joyeux dans la nature, et, seul, vous êtes triste ! Allons, mon gracieux seigneur, — ajouta Blanche en prenant les deux mains du roi, — je veux vous tirer de cet