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— Oui, bientôt je n’ai plus douté que Jeanike fût ta fille... Juge de sa joie à cette révélation ! Malheureusement retenue auprès de Ghisèle mourante, Jeanike n’a pu se rendre auprès de toi ; mais bientôt tu la verras avec sa fille Yvonne et son fils Germain, le serf forestier, s’il obtient la permission de quitter le domaine pour un jour. Et maintenant, Eidiol, adieu... je m’en vais heureux de te laisser au cœur un bon souvenir de moi, puisque je t’aurai révélé l’existence de ta fille...

— Et où vas-tu ?

— Je retourne dans le pays du nord avec Shigne.

— Et dans ces pays lointains, que vas-tu faire ?

— La guerre ! — répondit fièrement l’héroïne. — Les rois de la mer bataillent toujours entre eux ; nous retournons les rejoindre, Gaëlo et moi, nous ne sommes pas de ces lâches qui, oubliant leur vœu de ne jamais dormir sous un toit, désertent les combats et l’océan pour vivre sur terre, comme Rolf et ses compagnons !

— Ce n’est pas tout, — ajouta Gaëlo, — Karl-le-Sot a aussi octroyé le duché de Bretagne à Rolf ; en vain je lui ai prédit que cette terre serait le tombeau de ses vaillants soldats, s’il tentait de l’envahir ; il ne m’a pas cru. Il voulait me donner le commandement de la flotte qu’il va envoyer sur les côtes de l’Armorique pour en prendre possession...

— Tu as dû refuser ?

— Oui... Mais quelle étrange destinée la conquête franque fait à la Gaule ! Un de nos ancêtres, Amael, favori de Karl-Martel, avait, par coupable ambition de jeunesse, servi les Franks ; il sut du moins vaillamment réparer sa faute, lorsque Karl-Martel lui proposa d’envahir la Bretagne, berceau sacré de notre famille. Un siècle plus tard, mon grand-père, mon père, puis moi, par haine contre les Français, nous avons bataillé contre eux, et Rolf me propose d’être le chef de sa guerre impie contre l’Armorique ! Ah ! quoiqu’elle soit aujourd’hui opprimée par des prêtres et des seigneurs de race bretonne,