Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/114

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Rolf, — dit l’archevêque, afin d’apaiser le pirate, — la lumière de la foi n’a point encore suffisamment éclairé les ténèbres où le paganisme avait plongé ton esprit ; je ne te menace pas... je serai fidèle à nos conventions.

— Alors, c’est dit, — reprit le pirate ; — donnant, donnant : si tes prêtres me servent bien et utilement, ils garderont leurs terres, seulement je veux ravoir par ailleurs les biens que je laisse à tes abbés. — Et s’adressant au roi qui, indifférent à cet entretien, restait muet, sombre et affligé : — Karl, tu m’as donné Ghisèle et la Neustrie, ce n’est point assez, la fille d’un roi doit être plus royalement dotée. Ma duché de North-mandie confine à l’ouest la Bretagne, je veux aussi posséder cette province (V).

— Tu la veux ! — s’écria Karl-le-Sot, sortant pour la première fois de son morne abattement, et témoignant une sorte de joie amère — Ah ! tu veux la Bretagne ! sois satisfait, je te la donne de grand cœur, cette gracieuse province... Va, Rolf, vas-en prendre possession, et cela le plus tôt possible... Ce sera un beau jour pour moi que celui où j’apprendrai que tu as mis le pied dans ce doux pays... Oui... oui, Rolf, crois-moi, de grand cœur je te la donne, cette docile et paisible Armorique !

Le vieux pirate, assez surpris de l’empressement du roi à lui faire une cession si considérable, se retourna vers ses hommes. Gaëlo lui dit à demi-voix :

— C’est un piège... Karl t’accorde ainsi facilement le pays des Bretons parce qu’il est imprenable.

— Il n’y a rien d’imprenable pour moi et pour vous, mes vaillants champions !

— Rolf, les Français, depuis six cents ans, n’ont jamais pu s’établir en cette rude et indomptable contrée ; plusieurs fois ils l’ont envahie, vaincue... jamais ils ne l’ont soumise !

— Les North-mans dompteront ce que les gens français n’ont pu dompter.