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pravées, abruties par l’esclavage. Telle est, depuis des siècles, telle est encore la condition de ces infortunées. Va, mon enfant, pour une fille de roi qui souffre, combien de milliers de femmes de notre race jadis libre, sont mortes dans les tortures de la chair et de l’âme !

— Hélas ! mon père, cette pauvre fille de roi est innocente de ces maux !

— Ma sœur, — reprit Guyrion, — et ces milliers de femmes dont te parle mon père, avaient-elles mérité leurs tortures ?

— Maître Eidiol, — reprit Rustique, qui, toujours debout sur la borne, était resté étranger à l’entretien précédent, — la fille de Karl-le-Sot a repris ses sens, elle s’avance soutenue par son père et par le Comte de Paris. Voici Rolf ; il porte, sur son armure de guerre, une longue chemise blanche...

— Symbole de l’innocence qu’il doit au baptême, — reprit Guyrion en haussant les épaules. — C’est d’un bon exemple pour les scélérats : souillez-vous de tous les crimes, endossez par là-dessus une chemise blanche, tout est dit, vous êtes absous.

— Mais l’Église vend ces chemises-là plus cher que les marchands de toile, — répondit Rustique-le-Gai ; puis, continuant de regarder au loin, il reprit : — Derrière Rolf viennent notre parent Gaëlo et la belle Shigne ; le cortège se remet en marche vers la basilique. Le clergé catholique ayant à sa tête l’archevêque Francon, sort et s’arrête sous le portail. Ah ! maître Eidiol, je suis ébloui, les pierreries étincellent sur les chappes d’or ! sur les mitres d’or ! sur les crosses d’or ! ce n’est qu’or, rubis, perles, émeraudes ! la grande croix que l’on porte devant le clergé est aussi d’or, elle ruisselle de pierres précieuses !

— Ton sang seul ruisselait sur ta croix de bois, instrument de ton supplice, ô jeune homme de Nazareth ! — dit Eidiol, — ô Jésus l’ouvrier charpentier ! l’ami des pauvres en haillons, toi que notre aïeule Geneviève a vu mettre à mort à Jérusalem par les princes des prêtres, non moins splendidement vêtus que ces évêques !