Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/102

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Le roi des Français, moi ! — s’écria Karl avec amertume et colère. — Est-ce qu’il y a aujourd’hui un roi des Français ? Ce sont les comtes, les duks, les marquis, les évêques, les abbés, qui sont rois ! Est-ce que depuis un siècle, grâce à notre faiblesse, les seigneurs ne se sont pas tous rendus maîtres et souverains héréditaires des comtés, des duchés, qu’ils devaient seulement gouverner en notre nom ? C’est vrai cela, Ghisèle ; enfin, voyons, dis-moi qui règne dans le Vermandois... est-ce moi ? Non, c’est le comte Héribert... Qui règne sur le pays de Melun, est-ce moi ? Non, c’est le comte Errenger ; et sur le pays de Reims ? c’est l’archevêque Foulques ; et en Provence ! c’est le duk Louis-l’Aveugle ; et en Lorraine ? c’est le duk Louis IV  ; et en Bourgogne ? c’est le duk Rodulf ; et en Bretagne ? c’est le duk Allan... Oui, oui, c’est ainsi que ces brigands-là, et tant d’autres larrons, grands ou petits, nous ont dépouillé, province à province, pièce à pièce, du royal héritage de nos pères... Je te dis cela, mon enfant, pour te faire comprendre que si dures que soient les conditions qu’on m’impose, il me faut, hélas ! les subir. Les seigneurs commandent, j’obéis ; est-ce que je peux leur résister ? Ne sont-ils pas retranchés dans leurs châteaux forts, dont ils ont hérissé la Gaule, malgré les ordres de mes ancêtres ; c’est à peine si j’ai assez de soldats pour défendre le peu de territoire qui me reste ; car enfin, sur quoi est-ce que je règne aujourd’hui, moi, descendant de Karl-le-Grand, ce redoutable empereur qui régnait sur le monde ? Je n’ai plus la centième partie de la Gaule ! Mais dame, non ; fais mon compte, Ghisèle, fais mon compte, tu verras qu’il ne me reste rien que l’Orléanais, la Neustrie, le pays de Laon, et mes domaines de Compiègne, de Fontainebleau, de Braine et de Kersy. Comment veux-tu qu’avec si peu de puissance je résiste aux seigneurs, et que je dise non, quand ils ordonnent ? — Puis, frappant du pied avec colère, Karl-le-Sot fermant les poings s’écria : — Oh ! ma pauvre Ghisèle ! si nous avions pour nous défendre notre ancêtre, Karl-le-Grand, on ne nous ferait pas ainsi la loi, va ! oh ! ce vaillant empereur, comme il les écrase-