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Moi, Ronan, fils de Karadeuk, j’ai terminé d’écrire ce dernier récit deux ans après la mort de la reine Brunehaut, vers la fin des kalendes d’octobre de l’année 615. Clotaire II continue de régner sur toute la Gaule, comme avait régné seul son bisaïeul Clovis et son aïeul Clotaire Ier. Le meurtrier des petits-enfants de Brunehaut ne dément pas les sinistres commencements de sa vie. Cependant la charte royale et la charte épiscopale, relatives à la colonie et à la communauté, ont été jusqu’ici respectées. Mon frère Loysik, ma bonne vieille petite Odille, l’évêchesse et mon ami le Veneur, continuent de défier l’âge par leur santé.

Je charge le fils de mon fils de porter ce récit aux descendants de Kervan, frère de mon père, et comme lui fils de Jocelyn… La Bretagne est toujours la seule province de la Gaule qui soit jusqu’ici restée indépendante ; elle a repoussé les troupes franques de Clotaire II, comme elle a repoussé les attaques des autres rois. L’esprit druidique inspire et soutient l’indomptable Armorique ; puisse Hésus la préserver ainsi à travers les âges du souffle empoisonné, cadavéreux, liberticide, de l’Église catholique et romaine !

Mon petit-fils arrivera, je l’espère, sans malencontre jusqu’au berceau de notre famille, situé près des pierres sacrées de Karnak, ainsi que j’ai fait moi-même ce pieux pèlerinage, il y a cinquante ans et plus. Là, dans cette terre libre, mon petit-fils retrempera, comme moi, sa foi à l’indépendance future de la Gaule.

Je consigne sur cette feuille un fait important pour notre famille, divisée en deux branches, l’une habitant la Bourgogne, l’autre la Bretagne. En ces temps de guerre civile et de désordre, la paix, la liberté dont nous jouissons peuvent être violemment attaquées ; nos descendants sauront, je l’espère, mourir plutôt que de redevenir esclaves ; mais si, par faiblesse, ce malheur arrivait, si des événements imprévus s’opposaient à une résolution héroïque, si notre race devait de nouveau subir la servitude et être emmenée au loin captive, il serait bon, en prévision d’infortunes, hélas ! toujours possibles, que