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chés, pendaient encore, soutenus par une pellicule rougeâtre au bout des orteils ; à d’autres doigts des pieds et des mains, on voyait, plantées entre l’ongle et la chair, de longues aiguilles de fer… Le visage seul n’avait pas été martyrisé ; malgré sa lividité cadavéreuse, malgré les traces de souffrances inouïes, surhumaines, qu’y avaient laissées ces tortures de trois jours, il respirait encore l’orgueil et le défi : un sourire affreux crispait les lèvres bleuâtres de la reine ; un éclair de fierté farouche illuminait encore parfois son regard agonisant… Et, fatalité ! ce regard s’arrêta par hasard sur Loysik, au moment où Brunehaut passait devant lui. À la vue du vieux moine, dont le froc, la longue barbe blanche et la haute stature avaient sans doute attiré le regard mourant de la reine, elle parut frappée d’une commotion soudaine, se redressa, et rassemblant le peu de force qui lui restait, elle s’écria d’une voix désespérée, presque repentante :

— Moine, tu disais vrai… il est une justice au ciel !… À cette heure, sais-tu à quoi je pense ?… à la mort de Victoria la Grande… cette femme empereur, pleurée de tout un peuple…

Les clameurs furieuses de la foule couvrirent la voix de Brunehaut ; son dernier effort pour se redresser et parler à Loysik avait épuisé ses forces défaillantes… Elle tomba renversée en arrière, et son corps inerte ballotta sur la croupe du chameau. Loysik avait longtemps lutté contre l’horreur de cet épouvantable spectacle ; Brunehaut cessait à peine de parler, qu’il sentit sa vue se troubler, ses genoux faiblir ; sans deux pauvres femmes qui, frappés de compassion pour sa vieillesse, le soutinrent, le moine eût été foulé aux pieds.

Loysik resta longtemps privé de sentiment… Lorsqu’il reprit ses sens, la nuit était venue ; il se trouva couché dans une masure, sur un lit de paille ; à côté de lui, le jeune frère, qui était parvenu à le rejoindre, en demandant si l’on n’avait pas vu un vieux moine laboureur à barbe blanche. Deux pauvres femmes esclaves avaient fait transporter Loysik dans leur misérable hutte. Le premier mot