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n’eût pas été trahie par son armée, par ses auxiliaires… oui, si elle eût vaincu Clotaire, quel aurait été votre sort, à vous, seigneurs de Bourgogne, qui avez pris parti pour ce roi ? que seraient devenues ta femme, ta fille ?

— Brunehaut m’aurait fait couper le cou ; elle aurait livré ma femme et mes filles à l’esclavage des farouches tribus d’outre-Rhin ! Malédiction ! mes deux filles, Bathilde et Hermangarde, esclaves !… Mon père en Christ, ne parlons pas de cela. À cette seule pensée, la sueur me vient au front… Non, ne parlons pas de cela…

— Parlons-en, au contraire, car parmi ces esclaves inconnus dont je te demande la liberté, il en est peut-être qui ont avec eux des filles qu’ils chérissent autant que tu chéris les tiennes… Juge donc de la joie que leur causerait leur délivrance par la joie que tu éprouverais, toi et tes enfants, si, étant esclaves, on vous affranchissait. Roccon, deux mots seulement, deux mots de toi à ton roi, et tu peux donner cette ineffable joie à de pauvres captifs…

— C’est donner grande joie à bon marché. Allons, mon père en Christ, je vous promets les dix esclaves… Clotaire ne me les refusera pas.

— Seigneur duk, — dit un serviteur en entrant précipitamment dans la tente, — la promenade du chameau va commencer.

— Oh ! oh ! c’est un des meilleurs spectacles de la fête… je ne le manquerai pas… Venez-vous, mon père en Christ ? je vous ferai convenablement placer.

— Ah ! — s’écria le vieillard avec horreur, — je ne veux pas rester un moment de plus dans cet horrible lieu… Adieu, Roccon ; j’ai ta parole…

— Oui, père en Christ ; mais en retour vous prierez pour moi, afin que j’aie une bonne part de paradis.

— L’homme trouve le paradis dans son cœur lorsqu’il fait le bien : les prêtres qui promettent le ciel sont des fourbes. Je demanderai à Dieu qu’il t’inspire souvent des pensées charitables… Adieu.