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seul tu n’éprouves pas de haine contre Brunehaut ; mais Brunehaut est fière d’être haïe par tous… car elle est redoutée par tous…

Clotaire II s’approcha lentement de la vieille reine. Un cercle immense, composé des seigneurs franks, des guerriers de l’armée et de la foule qui l’avait suivie, se forma autour du fils de Frédégonde et de sa mortelle ennemie. La vue de ce roi, la volonté de ne pas défaillir devant lui, donnèrent à Brunehaut une énergie, une force surhumaines. Elle s’écria d’un air farouche en s’adressant aux guerriers qui la soutenaient par-dessous les bras : — Arrière ! je saurai me tenir debout !…

Elle se tint debout en effet, et fit deux pas à l’encontre du roi, comme pour lui prouver qu’elle ne ressentait ni faiblesse ni crainte. Clotaire et Brunehaut se trouvèrent ainsi tous deux face à face au milieu du cercle qui se rétrécit de plus en plus. Un grand silence se fit dans cette foule ; toutes les respirations étaient suspendues, on attendait avec anxiété le résultat de cette terrible entrevue. Le fils de Frédégonde, les deux bras croisés sur sa poitrine palpitante d’un triomphe farouche, contemplait silencieusement sa victime. Celle-ci, le front superbe, le regard intrépide, dit de sa voix mordante, sonore, qui retentit au loin :

— Et d’abord, bonjour, duk Warnachaire, lâche soldat… toi qui as commandé à mon armée de fuir sans combattre ; ton infâme trahison m’a perdue… Gloire à toi ! tu as vaincu mes soupçons, tu m’as livrée à mon ennemi… me voici donc moi, moi, fille, femme, mère de rois… me voici garrottée, me voici la figure meurtrie de coups de poing que l’on m’a donnés… me voici souillée de fumier, de boue et d’ordures que les populations m’ont jetés sur la route… Triomphe, fils de Frédégonde ! triomphe, jeune homme ! depuis deux jours le peuple couvre de huées, de mépris et de fange, non-seulement moi, mais en ma personne la royauté franque ! la tienne, celle de ta race ! Triomphe ! la royauté ne se relèvera pas du coup que tu m’as porté !

— Glorieux roi ! — dit tout bas l’évêque de Troyes à Clotaire II,