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crimes qui feront un jour douter de la vérité de l’histoire… Et elle va risquer ses royaumes, sa vie, par haine d’une poignée d’hommes inoffensifs ! L’avaient-ils donc outragée ? Non, ils lui étaient inconnus jusqu’ici ; son attention a été attirée sur eux par la cupidité d’un évêque envieux de posséder leurs biens. Mais ces hommes qu’elle veut réduire à l’héroïsme du désespoir ! ces hommes, si elle les épargnait, seraient-ils pour elle de dangereux ennemis ? Non, ils ne demandent qu’à continuer de vivre libres, paisibles, laborieux ; s’ils peuvent devenir redoutables, c’est par l’exemple de leur martyre… et cette femme n’a qu’une idée fixe : leur martyre… Il peut provoquer des soulèvements dont elle sera la première victime… Elle les brave… pourquoi ? Pour se venger de ce que la liberté de ces hommes a été garantie par un roi mort il y a un demi-siècle… Oh ! vertige du crime ! avec quelle joie je te verrais pousser cette femme aux abîmes, si le pied ne devait lui glisser dans le sang de mes frères !

Brunehaut, après avoir écouté Loysik avec une attention profonde, garda un moment le silence et reprit : — Moine… il est fâcheux que tu aies l’âge des gens qui vont mourir… tu serais devenu mon conseiller le plus écouté ; je ne raille pas, je suivrai tes avis. Cette vallée sera épargnée pour le présent… Tu dis vrai ; en ce moment où la guerre menace… où les grands n’attendent que l’occasion de se rebeller contre moi, réduire les habitants de cette vallée au désespoir, au martyre, serait de ma part une folie.

— Mon but est rempli ; je ne vous demande pas de promesse au sujet du monastère et des habitants de la vallée de Charolles, votre intérêt est pour moi la meilleure garantie. Maintenant je voudrais une feuille de parchemin pour écrire…

— À qui ?

— À mon frère… et à mes moines… quelques lignes seulement ; vous pourrez les lire… Ce sont des adieux à ma famille ; je désire aussi prier les membres de ma communauté de laisser libres votre