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— Il est oublié, madame.

— Vrai ?

— Vrai…

— Et puis, il faut, vois-tu, Warnachaire, aller au fond des choses. J’ai voulu te faire tuer… Eh ! mon Dieu ! c’est vrai ! j’en ai fait tuer tant d’autres ! Mais ce n’est pas, je t’en assure, par amour du sang. Que veux-tu ? il faut se mettre à la place des gens… On m’a tué ma sœur Galeswinthe, on m’a tué mon mari, on m’a tué mon fils, on m’a tué mes plus fidèles serviteurs ; seule j’ai eu à défendre les royaumes de mon fils et de mes petits-fils contre des rois acharnés à ma perte ; toute arme m’a été bonne, et, après tout, j’ai remporté de brillantes victoires, j’ai accompli, avoue-le, Warnachaire, de grandes choses. Et pourtant l’on me hait, les seigneurs franks me jalousent… cette vile plèbe gauloise, esclave ou populace, sourdement excitée contre moi… se rebellerait peut-être sans la terreur que je lui inspire… Et… mais, cet homme ! quel est cet homme ? — s’écria Brunehaut en s’interrompant. Et se levant brusquement, elle indiqua du geste Loysik, qui, debout au seuil de la porte donnant sur l’escalier tournant pratiqué dans l’épaisseur de la muraille, soulevait d’une main le rideau qui l’avait jusqu’alors tenu caché aux yeux de la reine et du maire du palais de Bourgogne. Warnachaire fit quelques pas à l’encontre du vieil ermite-laboureur qui s’avançait lentement et dit :

— Moine, comment te trouves-tu là ? Ton audace est grande de t’introduire dans l’appartement de la reine… Qui es-tu ?

— Je suis le supérieur du monastère de la vallée de Charolles.

— Tu mens, — dit Brunehaut, — j’ai envoyé l’un de mes chambellans à cette abbaye pour s’assurer de la personne de ce Loysik.

— Votre chambellan, — reprit le moine d’une voix moins assurée, — votre chambellan, ainsi que l’archidiacre et vos hommes de guerre, sont à cette heure prisonniers dans le monastère.

Venir annoncer soi-même, supérieur de la communauté, une nouvelle non moins improbable qu’offensante pour l’orgueil despotique