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— Des mots… des mots…

— Voici des faits : vous me croyez animé contre vous d’un ressentiment de haine, parce que vous avez voulu ma mort ? L’espoir de la vengeance me ramène, dites-vous, ici ? Alors, madame, qui m’empêche de mettre la main sur ce timbre pour vous empêcher d’appeler aide ?

Et le duk fit ce qu’il disait.

— Qui m’empêche de tirer ce poignard ?

Et le duk fit briller cette arme aux yeux de Brunehaut, dont le premier mouvement fut de se rejeter en arrière sur le dossier de son siège.

— Qui m’empêche enfin de vous tuer d’un seul coup de ce fer empoisonné comme l’étaient les poignards des pages de Frédégonde ?

Et en disant ces derniers mots, Warnachaire s’était tellement rapproché de Brunehaut qu’il pouvait la happer avant qu’elle eût poussé un cri… La reine, sauf un premier mouvement de crainte ou plutôt de surprise, n’avait pas sourcillé ; son regard indomptable était resté hardiment fixé sur les yeux du maire du palais ; elle écarta d’un geste de dédain la lame du poignard, demeura quelques instants pensive, et reprit comme à regret : — Il faut pourtant croire à quelque chose ; tu aurais pu me tuer, c’est vrai ; tu ne l’as pas fait… je ne peux nier l’évidence. Tu ne veux donc pas te venger de moi… à moins que tu me réserves un sort selon toi plus terrible que la mort ; pourtant, non, un homme qui hait fermement, tombe peu dans ces raffinements hasardeux. L’avenir n’appartient à personne ; on trouve une belle occasion pour frapper son ennemi, on le frappe tôt et vite… Donc, je te crois sans haine contre moi ; tu conserveras le commandement de l’armée. Écoute, Warnachaire, tu l’as dit : Brunehaut est implacable dans ses soupçons et sa haine ; mais elle est magnifique pour qui la sert fidèlement… Que par toi le fils de Frédégonde tombe entre mes mains, et ma faveur dépassera tes espérances… Oublions le passé.