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— Moine, les feux allumés sur nos montagnes pendant la dernière nuit de ton voyage étaient un signal d’alarme donné à nos tribus de se préparer à la guerre, et de hâter leurs récoltes ; ton roi veut la guerre, il aura la guerre ! Pas un mot de plus à ce sujet. Maintenant, réponds, je te prie, à une question : Tu viens de la cour d’Aix-la-Chapelle ? Que sont devenues les filles de l’empereur Karl ?

L’abbé regarda Vortigern avec surprise et reprit : — Que t’importe le sort des filles de l’empereur ?

— Il y a huit ans j’ai accompagné mon aïeul à Aix-la-Chapelle ; là, j’ai vu les filles de Karl. Telle est la cause de ma curiosité sur leur sort.

— Les filles de Karl ont été, par l’ordre de leur frère Louis-le-Pieux, reléguées dans des monastères, — répondit brusquement Witchaire. — Puissent-elles par leur repentir mériter le pardon de leur abominable libertinage.

— Thétralde a-t-elle partagé le sort de ses sœurs ?

— Thétralde est morte depuis longtemps.

— Elle ! — s’écria Vortigern sans pouvoir cacher son émotion. — Pauvre enfant !… morte si jeune !

— De celle-là, du moins, l’auguste Karl n’a jamais eu à rougir.

— Quelle a été la cause de la mort de cette enfant ?

— On l’ignore. Elle avait joui jusqu’à quinze ans d’une santé florissante, soudain elle est devenue languissante, maladive, et à seize ans à peine elle s’est éteinte entre les bras de son père, qui l’a toujours pleurée. Mais assez parlé des filles de Karl-le-Grand ; une dernière fois veux-tu, oui ou non, tenter de faire revenir Morvan de sa résolution, qui sera la perte de ce pays ? Tu gardes le silence ; est-ce un refus ? Réponds, réponds donc ! — Vortigern, absorbé dans ses pensées, resta muet et triste, songeant à cette enfant morte si jeune, et dont le souvenir touchant avait longtemps rempli son cœur. L’abbé, impatienté du silence prolongé du Breton, lui mit la main sur l’épaule et lui dit : — Je te demande si tu veux, oui ou non, tenter de faire renoncer Morvan à sa résolution insensée ?