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— Tant il riait, ce garçonnet ?

— Oh ! non, moi j’ai pleuré, parce qu’à la fin l’oiseau était tout saignant.

— Alors, moi, j’ai dit à mon frère Mérovée : Tu n’as donc pas de courage, que le sang te fait peur ? Et quand nous irons à la bataille, cela te fera donc pleurer, de voir le sang couler ? N’est-ce pas, Childebert, que j’ai dit cela ?

— C’est vrai, grand’mère ; et moi, pendant que Corbe parlait ainsi à Mérovée, j’ai pris un couteau et j’ai coupé le cou à la colombe… Ah ! c’est que je n’ai pas peur du sang, moi, et quand j’aurai l’âge, j’irai à la guerre, n’est-ce pas, grand’mère ?

— Ah ! mes enfants, vous ne savez pas ce que vous désirez ! On peut bien, voyez-vous, chers petits, s’amuser à couper le cou à des colombes, sans pour cela se croire obligé d’aller un jour à la guerre. Figurez-vous donc que la guerre, mes enfants, c’est chevaucher jour et nuit, souffrir de la faim, du chaud, du froid, coucher sous la tente, et qui plus est, risquer de se faire tuer ou blesser, ce qui cause une grande douleur ; ne vaut-il pas mieux, chers enfants, se promener tranquillement en char ou en litière ? coucher dans un lit douillet ? manger des friandises tout son saoul ? s’amuser tant que la journée dure ? satisfaire aux moindres fantaisies qui nous viennent ? Dites, n’est-ce, point préférable aux vilaines fatigues de la guerre ? Le sang des races royales est trop précieux pour l’exposer ainsi, mes jolis roitelets ; vous avez vos leudes pour combattre l’ennemi à la bataille, vos serviteurs pour tuer les gens qui vous déplaisent ou vous offensent ; vos prêtres pour vous faire obéir de vos peuples et vous absoudre de vos crimes, si vous en commettez. Vous n’avez donc qu’à vous amuser, qu’à jouir des délices de la vie, heureux enfants, sans autre souci que de dire : Je veux. Comprenez-vous bien mes paroles, chers petits ? Dis, Childebert, toi l’aîné de vous trois ? toi un garçon déjà raisonnable ?

— Oh ! oui, grand’mère, moi je ne suis pas plus soucieux qu’un