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— Frère, frère ! — ajouta Vortigern, en s’adressant au chef des chefs, — prends garde ! céder à la menace au lieu de retremper l’énergie bretonne dans cette lutte sainte, trois fois sainte, contre l’étranger, c’est nous perdre par l’avilissement ! Aujourd’hui nous payerons tribut au roi des Franks pour éviter la guerre ; demain, nous lui concéderons la moitié de nos terres pour qu’il nous laisse maîtres du reste ; plus tard nous subirons l’esclavage, ses hontes, ses misères, pour conserver seulement notre vie : la chaîne sera rivée ; nous la traînerons durant des siècles !

— Ô malheur et infamie sur la Bretagne ! — s’écria Noblède avec une indignation douloureuse ; — sommes-nous donc tombés si bas, que l’on en vienne à mesurer la longueur de notre chaîne ? Quoi ! voici trois hommes vaillants, sages, éprouvés, perdant leur temps et leurs paroles à discuter l’insolente menace d’un roi frank ! et pour lui répondre il ne fallait qu’une minute, qu’un mot : la guerre !

Les trois Bretons bondirent à ce mot de : guerre prononcé par Noblède avec un héroïque enthousiasme ; elle poursuivit dans son exaltation croissant : — Ô Gaulois dégénérés ! il y a huit siècles, en ce pays où nous sommes, César, le plus grand capitaine du monde, commandant la plus formidable armée du monde, envoya aussi des messagers sommer la Bretagne de lui payer tribut ; on répondit à ces Romains en les chassant honteusement de la cité de Vannes ; le soir même, Hêna, notre aïeule, offrait son sang à Hésus pour la délivrance de la Gaule, et le cri de guerre retentissait d’un bout à l’autre du pays, je t’en prends à témoin, astre sacré, toi qui éclairas cette nuit sublime ! — s’écria Noblède en levant ses mains vers l’Armorique, — Albinik le marin et sa femme Méroë, accomplissaient un voyage de vingt lieues à travers les plus fertiles contrées de la Bretagne, incendiées par les populations elles-mêmes ! César n’avait plus devant lui qu’un désert de ruines fumantes, et le jour de la bataille de Vannes, toute notre famille, femmes, jeunes filles, enfants, vieillards, combattaient ou mouraient vaillamment ! Ah ! ceux-là