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— Morvan, tu es un homme sensé ; s’agit-il de vous asservir ? non ; de vous déposséder de vos terres ? non. Que demande Louis-le-Pieux ? Que vous lui payiez tribut en hommage de sa souveraineté, rien de plus.

— C’est trop, car c’est inique.

— Écoute-moi ; compare les épouvantables malheurs que subira la Bretagne si elle refuse de reconnaître la souveraineté de Louis-le-Pieux. Peux-tu préférer le ravage de tes champs, de tes moissons, la perte de tes bestiaux, la ruine de ta demeure, l’esclavage de tes proches, au payement volontaire de quelques sous d’or versés pour ta part dans le trésor du roi des Franks ?

— Certes, je préférerais payer vingt sous d’or et n’être point ruiné, mais…

— Laisse-moi achever ; il ne s’agit point seulement des biens de la terre ; mais tu as une femme, une famille, des amis ? Voudrais-tu, par vain orgueil de rébellion, exposer tant de personnes chères à ton cœur, aux chances horribles de la guerre ? d’une guerre sans pitié, je te le déclare ! Et cela, au moment où, selon toi, tu ne retrouves plus dans le peuple Breton son indomptable énergie d’autrefois ?

— Non, — répondit Morvan d’un air sombre et pensif, les coudes appuyés sur ses genoux et son front caché dans ses deux mains, — non, le peuple Breton n’est plus ce qu’il était jadis !

— À mes yeux, ce changement est une des divines conquêtes de la foi catholique ; à tes yeux c’est un mal, soit, ne discutons pas ; mais enfin ce mal existe, tu es forcé de l’avouer ; la Bretagne, jadis invincible, a été depuis un siècle plusieurs fois envahie par les Franks ! Ce qui est arrivé doit arriver encore ! Et pourtant, malgré cette défiance de tes forces, malgré la certitude de succomber, tu veux essayer une lutte impitoyable, au lieu de payer librement un tribut qui n’aliène en rien ta liberté et celle des tiens.

Morvan, ébranlé par les insidieuses paroles de l’abbé, garda le silence, puis il dit lentement et avec effort : — Mais enfin, à quelle somme se monterait le tribut que demande ton roi ?