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race l’iniquité originelle de son pouvoir royal issu de la conquête. Que veux-tu ? vous autres, rois conquérants, en héritant du trône vous vous léguez les peuples asservis ; nous, peuple conquis, pour héritage, nous laissons à nos fils la haine des royautés.

Soit que l’empereur, absorbé dans ses pensées, n’eût pas entendu les dernières paroles du Gaulois centenaire, soit qu’il ne voulût pas y répondre, il s’écria : — Oublions ces maudits North-mans ; parle-moi de ce que, selon toi, j’ai encore fait de bon. Tes louanges sont rares, elles m’en plaisent davantage.

— Tu n’es pas cruel à plaisir, quoiqu’on puisse te reprocher un abominable massacre de plus de quatre mille Saxons égorgés par tes ordres, après une bataille sanglante.

— Ne me rappelle pas cette journée, — dit vivement Karl en interrompant Amael ; — c’était horrible ! une véritable boucherie ; mais il me fallait terrifier ces barbares par un exemple. Fatale nécessité de la guerre ! je l’ai déplorée, je la déplore encore chaque jour.

— Je le crois, car malgré cet ordre de carnage donné, je le veux, dans le farouche emportement de la bataille, tu n’es pas regardé comme un homme cruel ; ton cœur est accessible à certains sentiments de justice, d’humanité ; tu t’es occupé, dans tes Capitulaires, d’améliorer un peu le sort des esclaves et des colons.

— C’était mon devoir de chrétien, de catholique.

— Tu n’es pas plus chrétien que tes amis les évêques ; tu as obéi à un instinct d’humanité naturel à l’homme, quelle que soit sa religion ; mais tu n’es pas chrétien.

— Par le roi des cieux ! je suis juif peut-être ?

— Le Christ a dit ceci, selon saint Luc l’évangéliste : — Le Seigneur m’a envoyé pour annoncer aux captifs leur délivrance, — pour renvoyer libres ceux qui sont dans les fers ! — Or tes domaines sont peuplés de captifs enlevés par la conquête à leur pays ; les terres de tes évêques et de tes abbés sont peuplées d’esclaves ; donc, ni tes