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— C’est là ma pensée. Je te l’ai dit : toute royauté expie tôt ou tard l’iniquité de son origine.

— Je te croyais, seigneur Breton, un homme de jugement et d’esprit sain, — dit l’empereur en haussant les épaules, — tu n’es qu’un vieux fou !

— Karl, ce matin, dans ton école Palatine, tu as remarqué, signalé ceci : les enfants pauvres étudient avec ardeur, tandis que les enfants riches sont paresseux. Simple en est la raison : les premiers sentent le besoin de travailler pour parvenir, les seconds sont certains de parvenir sans travailler. Tes ancêtres, les Maires du palais, voulant usurper la couronne, ont agi comme les enfants pauvres. Tes descendants, n’ayant plus de couronne à conquérir, agiront comme les enfants riches. C’est là une des mille causes de la dégradation des royautés.

— Ta comparaison, malgré certaine apparence de logique, est fausse. Mon père a usurpé la couronne, mais il m’avait à peine laissé le royaume des Gaules ; à cette heure, la Gaule n’est plus qu’une petite province de l’immense empire que j’ai conquis. Je ne suis donc pas resté paresseux, engourdi, comme un enfant riche !

— Je te parle de ta descendance et non de toi ; mais qu’importe ! biens larronnés, ou si le terme t’effarouche, pouvoir violemment conquis ne profite jamais : les rois franks et leurs leudes, plus tard devenus grands seigneurs bénéficiers, ont, à l’aide des évêques, dépouillé la Gaule, ils se sont partagé son sol et ont réduit ses peuples à l’esclavage. Rois, seigneurs et évêques expieront tôt ou tard leur crime. Ils se dévoreront les uns les autres, jusqu’à ce que…

— Achève, seigneur Breton.

— J’avais pour aïeul un soldat, frère de lait de Victoria la Grande.

— Une héroïne ! J’ai lu ce nom dans les historiens latins. Son fils a régné sur la Gaule.

— Oui, sur la Gaule libre, qui l’avait librement élu pour son chef, selon le droit de tout peuple libre. Donc, ce soldat, mon aïeul,