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viens, rassure-toi ! et puis, d’ailleurs, qui sait ? — ajouta Karl d’un ton guilleret, — peut être a-t-il rencontré quelque jolie fille de bûcheron dans une des huttes de la forêt ? C’est de son âge ; tu ne veux pas en faire un moine de ce garçon !




L’empereur des Franks se mit en marche vers le pavillon où il devait dîner avec ses courtisans, avant de regagner Aix-la-Chapelle. Il appela et fit placer près de lui Amael, toujours inquiet au sujet de Vortigern. — Seigneur Breton, — dit gaiement l’empereur au centenaire, — causons. Que penses-tu de cette journée ? Es-tu revenu de tes préventions contre Karl le Batailleur ? Me crois-tu quelque peu digne de gouverner les peuples divers de mon empire, aussi vaste que l’ancien empire romain ? Me crois-tu surtout quelque peu digne de régner sur ta sauvage petite peuplade armoricaine ?

— Je te répondrai avec sincérité.

— J’y compte.

— Karl, dans ma jeunesse, ton aïeul m’a proposé d’être le geôlier du dernier descendant de Clovis, un malheureux enfant, prisonnier dans une abbaye, ayant à peine une robe pour se couvrir. Cet enfant, devenu jeune homme, a été, par ordre de Pépin ton père, tondu et enfermé dans un monastère, où il est mort obscur, oublié.

— Que veux-tu conclure de ceci ?

— Ainsi finissent les royautés ; telle est l’expiation prompte ou tardive, réservée aux races royales issues de la conquête. C’est leur juste châtiment.

— De sorte que ma race, à moi, que le monde entier appelle Karl le Grand, — répondit l’empereur, avec un sourire de dédaigneux orgueil, — de sorte que ma race, à moi, finira obscurément, lâchement, comme ce roi imbécile et fainéant, dernier rejeton de Clovis ?