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si glorieux sous leurs riches tuniques de soie, ornées de l’éblouissant plumage des oiseaux les plus rares, offraient, à leur retour, un aspect aussi piteux que ridicule. Toutes ces plumes, naguère diaprées de si vives couleurs, étaient ternies, hérissées ou collées aux tuniques, souillées de boue et presque mises en lambeaux par les ronces des buissons ou par les branches des fourrés ; les panaches des bonnets de fourrure, pendaient, mouillés, brisés, dépenaillés, ressemblant fort, pour la plupart, à de longues arêtes de poisson ; les fines bottines de cuir oriental disparaissaient sous une épaisse couche de fange ; d’autres, déchirées par les épines, laissaient voir les chaussettes, souvent même la peau des chasseurs. Karl, au contraire, simplement, chaudement vêtu de son épaisse casaque de peau de brebis, qui tombait jusque sur ses bottes de gros cuir, la tête couverte de son bonnet de blaireau, se frottait les mains d’un air matois en voyant ses courtisans, trempés jusqu’aux os, et frissonnant de froid sous la pluie. Karl, faisant alors à Amael un signe d’intelligence, lui dit à demi-voix : — Au moment de partir pour la chasse, je t’ai engagé à retenir en ta mémoire la magnificence des costumes de ces étourneaux, aussi vains et non moins dénués de cervelle que les paons d’Asie dont ils portaient les dépouilles. Vois les un peu maintenant… ces beaux fils. — Amael sourit d’un air approbatif tandis que l’empereur, élevant sa voix criarde, disait à ces seigneurs en haussant les épaules : — « Oh ! les plus fous des hommes ! quel est, à cette heure, le plus précieux et le plus utile de nos habits ? Est-ce le mien, que je n’ai acheté qu’un sou ?… Sont-ce les vôtres, qui vous ont coûté si cher (II) ? »

À cette judicieuse raillerie, les courtisans restèrent silencieux et confus, tandis que l’empereur, ses deux mains sur son gros ventre, riait aux éclats de son rire glapissant.

— Karl, — lui dit tout bas Amael, — j’aime mieux t’entendre parler avec cette fine sagesse que de te voir éventrer un cerf aux abois.