Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/291

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

forêt où le cerf se faisait poursuivre d’enceinte en enceinte. Amael assista même, quelque temps avant la nuit, à la mort du cerf, qui, épuisé de fatigue après quatre heures d’une course haletante, fit tête aux chiens, lorsqu’ils l’atteignirent enfin, et tenta de se défendre contre eux au moyen de l’énorme ramure dont sa tête était couronnée. L’empereur n’avait presque jamais quitté sa meute ; il arriva bientôt sur ses traces, ainsi que quelques-uns de ses veneurs ; sautant de cheval, il courut, tout boitant, vers le cerf, qui avait déjà de ses bois aigus transpercé plusieurs chiens. Choisissant alors, d’un coup d’œil expérimenté, le moment opportun, Karl tira son couteau de chasse, s’élança sur l’animal aux abois, lui plongea son arme au défaut de l’épaule, l’abattit à ses pieds, et l’abandonna aux chiens ; ceux-ci, se précipitant sur cette palpitante et chaude curée, la dévorèrent au bruit retentissant des fanfares sonnées par les veneurs, qui annonçaient ainsi la fin de la chasse et rappelaient les chasseurs. L’empereur, son couteau sanglant à la main, après avoir assez longtemps contemplé avec une vive satisfaction ses chiens aux mufles ensanglantés, qui se disputaient les lambeaux du cerf, aperçut Amael et lui cria joyeusement : — Eh ! seigneur Breton… trouves-tu Karl un bon et hardi veneur ?

— Je trouve qu’en ce moment l’empereur des Franks, avec son grand couteau à la main, ses bottes et sa casaque tachées de sang, a l’air d’un boucher, — répondit le centenaire. — Excuse ma sincérité.

— Mes chiens ont si valeureusement chassé, que je suis tout joyeux et disposé à l’indulgence, seigneur Breton, — répondit l’empereur en riant… puis il dit à demi-voix au vieillard d’un air narquois : — Regarde donc là-bas les seigneurs de ma cour, si brillants au commencement de la chasse.

En effet, la plupart des courtisans et des officiers de l’empereur accouraient à cheval de différents côtés, répondant à l’appel des trompes ; la pluie tombait alors depuis deux heures ; le jour touchait à sa fin. Ces seigneurs, si magnifiquement vêtus au début de la chasse,