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goisse auxquelles il se sentait en proie depuis sa rencontre avec Thétralde. Il entra donc dans la hutte, y prit plusieurs brassées de bois sec et raviva le brasier, tandis que la fille de Karl, courant de ci de là, ramassait une grosse provision de châtaignes qu’elle rapporta dans un pan de sa robe. S’asseyant alors sur le banc de mousse placé au fond de la cabane, dont l’intérieur était vivement éclairé par la lueur du feu allumé près du seuil, elle dit à Vortigern, en lui montrant une place à côté d’elle : — Assieds-toi là, et viens m’aider à écosser ces châtaignes.

L’adolescent s’assit auprès de Thétralde luttant avec elle de prestesse, et comme elle se piquant plus d’une fois les doigts pour retirer les fruits mûrs de leur enveloppe. il lui dit en riant : — Voici pourtant la fille de l’empereur des Franks assise dans une hutte de terre, écossant des châtaignes comme la pauvre enfant d’un esclave bûcheron.

— Vortigern, tu me croiras si tu veux, — reprit Thétralde en regardant son compagnon d’un air radieux, — jamais la fille de l’empereur des Franks n’a été plus contente.

— Et moi, Thétralde, je vous jure que depuis que j’ai quitté ma mère, ma sœur et la Bretagne, jamais je n’ai été plus heureux qu’aujourd’hui.

— Ce que tu dis là, tu le penses ?

— Oh ! oui !

— Et si demain ressemblait à aujourd’hui ? et s’il en était ainsi pendant longtemps, bien longtemps… toujours ? tu serais content ?

— Et vous, Thétralde ?

— Dis-moi donc toi ; on se tutoie en Germanie.

— Mais le respect…

— Je te dis toi, et je ne t’en respecte pas moins, — reprit la jeune fille en riant ; — ainsi tu me demandais si je serais heureuse de penser que tous les jours seraient semblables à celui-ci ?

— Oui.