Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/272

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que Karl soit d’humeur à laisser les évêques se servir de son sceptre, en guise de bâton, pour conduire ses peuples ?

— Karl, si tu veux, à la fin de cette journée, m’accorder quelques moments d’entretien, je te dirai sincèrement ma pensée sur ce que je vois ici ; je louerai le bien… je blâmerai le mal.

— Tu vois du mal ici ?

— Ici… et ailleurs.

— Comment, ailleurs ?

— Crois-tu que ton palais et ta ville d’Aix-la-Chapelle, ta ville de prédilection… soient la Gaule tout entière ?

— Que me parles-tu de la Gaule ! Je viens de parcourir le nord de ses contrées… j’ai été jusqu’à Boulogne, où j’ai fait établir un phare pour les vaisseaux, et de plus… — Mais l’empereur, s’interrompant, dit au vieillard en lui désignant un endroit de la cour que le balcon dominait : — Regarde !… et écoute !

Amael vit auprès d’une des galeries un jeune homme de haute et robuste taille, à barbe noire et touffue, portant les riches habits des évêques ; deux de ses esclaves venaient de lui amener un cheval des plus pacifiques, ainsi qu’il convient à un prélat, et de l’approcher d’un banc de pierre, afin qu’il fût plus facile à leur maître d’enfourcher sa monture ; mais le jeune évêque, remarquant deux femmes qui, d’une croisée, le regardaient, et voulant, sans doute, faire preuve d’agilité, ordonna impatiemment aux serviteurs d’éloigner le cheval du banc ; puis, dédaignant même le secours de l’étrier, il saisit d’une main la crinière de l’animal, et s’élança d’un bond si vigoureux, que, dépassant le but, il faillit tomber de l’autre côté du cheval, et eut assez de peine à se raffermir en selle. Cette espèce de saut périlleux avait attiré l’attention de l’empereur sur le trop agile prélat ; aussi lui cria-t-il de sa voix grêle et glapissante en se penchant au balcon : — Eh !… eh !… mon alerte évêque… un mot, s’il te plaît ? — Le jeune homme releva la tête, et, reconnaissant Karl, s’inclina respectueusement.