Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/270

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Oui, seigneur, et, si je l’obtiens, la part des pauvres n’en sera que plus considérable.

— Et maintenant, vous tous, écoutez bien ceci, — s’écria l’empereur d’un air sévère, en montrant l’évêque. — Connaissant le goût passionné du prélat que voilà pour les frivolités curieuses et ruineuses qu’il achète à des prix insensés, j’ai commandé à Salomon, le juif, de prendre un rat dans sa maison… vous entendez, un rat… le plus vulgaire des rats qui ait jamais été pris dans une ratière ; puis d’embaumer ce rat avec de précieux aromates, de l’envelopper d’étoffes orientales brodées d’or, de l’offrir à l’évêque de Bergues comme un rarissime rat de Judée rapporté par un vaisseau vénitien, et de le vendre à ce prélat comme le plus prodigieux, le plus miraculeux des rats (BB).

Un immense éclat de rire éclata parmi les témoins de cette scène, tandis que l’évêque, irrité, mais se contraignant, baissait les yeux devant Karl, qui poursuivit : — Or, savez-vous quel prix l’évêque de Bergues l’a payé, ce rat prodigieux ? Dix mille sous d’argent ! oui, dix mille sous d’argent (CC), tout autant ! J’ai la somme ici, le juif me l’a rapportée… elle sera distribuée aux pauvres ! — Puis il ajouta d’un air sévère : — « Évêques, évêques, songez-y bien !… vous devez être les pères, les pourvoyeurs des pauvres, ne point vous montrer avides de vaines frivolités… et voici que, faisant tout le contraire, vous vous adonnez plus que les autres mortels à l’avarice et à de vaines cupidités ! (DD) » Par le roi des cieux ! prenez-y garde !… la main de l’empereur vous a élevés, elle pourrait vous abaisser. Non, évêque de Bergues, tu n’auras pas l’évêché de Limbourg ; conserve le tien, et sache-moi gré de ma clémence. Quant à vous autres, sachez que j’ai promis l’évêché à un jeune homme. Or, je ne veux pas, moi, manquer de parole à mon jeune homme.

À ce moment, les courtisans s’écartèrent pour donner passage à Mathalgarde, une des concubines de l’empereur. Cette femme, d’une grande beauté, s’approcha de Karl d’un air confiant et assuré dans