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— Oh ! oh ! seulement à l’instant ? Cela m’étonne fort ; l’on est si âpre à la curée des évêchés, que l’on annonce toujours la mort des évêques au moins deux ou trois jours à l’avance. Est-il du moins mort en bonne odeur de sainteté, ce défunt évêque ? S’est-il recommandé dans l’autre monde par de grosses aumônes laissées aux pauvres ?

— Auguste prince, il n’a laissé, dit-on, aux pauvres, que deux livres d’argent.

— Quel léger viatique pour un si long voyage (V) ! — s’écria une voix ; c’était celle de Bernard, le pauvre et savant écolier que Karl avait déjà nommé clerc de sa chapelle, et qui, d’après les ordres de l’empereur, se tenait non loin de lui, depuis sa sortie de l’école palatine. Karl, se tournant vers le jeune homme qui, rouge de confusion, regrettant déjà la hardiesse de son langage, tremblait de tous ses membres, lui dit en se remettant en marche : — Suis-moi ; — mais voyant les grands de sa cour se préparer à l’accompagner, Karl ajouta : — Non, non ; ces deux Bretons, Eginhard et ce jeune clerc m’accompagneront seuls ; vous autres, tenez-vous prêts pour la chasse de tantôt.

La foule brillante s’arrêta, l’empereur regagna les galeries du palais sans autre suite que Vortigern, Amael, Eginhard et le pauvre Bernard ; plus mort que vif, le clerc marchait le dernier, craignant d’avoir par son indiscrète échappée, en critiquant l’avarice du défunt évêque, courroucé l’empereur. Aussi quelle fut la surprise de l’écolier, lorsqu’au bout de quelques pas, Karl, se retournant à demi, lui dit : — Approche, approche ! Tu trouves donc que l’évêque de Limbourg a laissé trop peu d’argent pour les pauvres ?

— Seigneur !…

— Réponds ? Si je te donnais cet évêché, serais-tu, au moment de paraître devant Dieu, plus libéral que l’évêque de Limbourg ?

— Auguste prince, — répondit le pauvre clerc, abasourdi de cette fortune inouïe, en se jetant aux pieds de l’empereur, — c’est à la volonté de Dieu et à votre toute-puissance de décider de mon sort.