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— Et surtout à ses sujettes, — reprit le vieillard ; — mais, bon ! la messe t’absoudra !

— Ah ! païen de Breton ! païen de Breton ! — murmura l’empereur ; et peu d’instants après, il entrait dans la basilique d’Aix-la-Chapelle, attenant au palais impérial. Vortigern et son aïeul furent éblouis de l’incroyable magnificence de ce temple, dans lequel s’étaient rendus tous les commensaux du palais impérial. Vortigern vit au loin, près du chœur, parmi les concubines, les filles et petites-filles de Karl, brillamment parées, la blonde et charmante Thétralde, assise à côté de sa sœur Eldrude. L’empereur prit sa place accoutumée, derrière le lutrin, au milieu des chantres, somptueusement vêtus. L’un d’eux offrit respectueusement à l’empereur un bâton d’ébène avec lequel il battit la mesure, et donna, lorsqu’il le fallut, le signal des différents chants indiqués par la liturgie. Un peu avant la fin de chaque verset, Karl, en manière de signal, poussait de sa voix grêle une sorte de cri guttural si étrange (U), que Vortigern, dont le regard venait de rencontrer, par hasard, les grands yeux bleus de la blonde Thétralde obstinément fixés sur lui, faillit éclater de rire au cri de l’empereur, malgré la sainteté du lieu, malgré le trouble croissant où le jetaient les doux regards de Thétralde. La messe terminée, Karl dit à Amael : — Eh bien, seigneur breton, avoue qu’au besoin, tout batailleur que je suis, je ferais un bon clerc et un bon chantre ?

— Je ne me connais point à ces choses ; je te dirai seulement que comme chantre, tu as poussé un cri cent fois plus discord que le cri des corbeaux de mer de nos grèves. Puis, le chef d’un empire a, ce me semble, mieux à faire que de chanter la messe.

— Tu seras toujours un barbare et un idolâtre ! — s’écria l’empereur en sortant de la basilique. Au moment où il se trouvait sous le portail de ce monument, l’un des grands de sa cour qui se pressaient sur son passage, lui dit : — Auguste prince, l’on vient d’apprendre à l’instant même la mort de l’évêque de Limbourg.