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dre… et quoique gravement blessé, Morvan, grâce à sa femme, une héroïne, est parvenu à s’échapper avec elle ; il a été impossible de les atteindre dans les montagnes inaccessibles où ils se sont tous deux réfugiés. L’on a donc choisi pour otages deux autres chefs de tribu, très-influents, que nous avons laissés en chemin par suite de leurs blessures, puis ce vieillard qui a été l’âme des dernières guerres, et enfin ce jeune homme qui, par sa famille, tient à l’un des chefs les plus dangereux de l’Armorique. L’on a aussi, je l’avoue, cédé aux prières de la mère de ce jeune garçon ; car elle désirait vivement le voir accompagner son aïeul durant ce long voyage, fort rude pour un centenaire.

— Et toi ? — reprit l’empereur en s’adressant à Vortigern, qu’il avait, pendant le récit d’Octave, regardé avec attention et intérêt, — tu le hais sans doute aussi beaucoup, Karl le conquérant ? Karl le batailleur ?

— L’empereur Karl a des cheveux blancs ; moi, j’ai dix-huit ans, — répondit le jeune Breton en rougissant et baissant les yeux, — je ne saurais répondre.

— Vieillard, — reprit Karl en se tournant vers Amael, — la mère de ton petit-fils doit être une heureuse mère. Mais j’y songe, mon garçon, est-ce qu’hier, peu de temps avant mon arrivée, tu n’as pas failli te casser le cou en tombant de cheval ?

— Moi  ? — s’écria Vortigern en rougissant d’orgueil, — moi, tomber de cheval ? Qui a osé dire cela ?

— Oh ! oh ! mon garçon, te voilà rouge jusqu’aux oreilles, — reprit l’empereur en riant. — Allons, rassure-toi, je ne veux point blesser ton amour-propre d’écuyer, loin de là ; car avant de te voir, j’avais entendu d’interminables récits sur ta bonne grâce et ta hardiesse à cheval. Mes chères filles, et surtout la petite Thétralde et la grande Hildrude, m’ont dix fois répété pendant le souper, qu’elles avaient vu un sauvage petit Breton, quoique blessé d’un bras, manier son cheval comme le meilleur de mes écuyers.