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un moment de silence : — Toi qui écris les faits et gestes de Karl, Auguste Empereur des Gaules, César de Germanie, Patrice des Romains, Protecteur des Suèves, Bulgares et Hongrois, tu écriras ceci : qu’un vieillard a tenu à Karl un langage d’une audace inouïe, et que Karl n’a pu s’empêcher d’estimer la franchise, le courage de l’homme qui lui parlait ainsi. — Et, changeant soudain d’accent, l’empereur, dont les traits un moment courroucés prirent une expression de bonhomie nuancée de finesse, dit au vieillard : — Ainsi donc, seigneurs bretons de l’Armorique, quoi que je fasse, vous ne voulez à aucun prix de moi pour empereur ? et pourtant, toi ? me connais-tu seulement ?

— Karl, nous te connaissons en Bretagne par les maux des guerres que ton père et toi vous nous avez faites. Nous savons aussi tes nombreuses conquêtes en Europe ; mais les peuples conquis admirent peu les conquérants.

— Ainsi, pour vous autres hommes de l’Armorique, moi, Karl, je ne suis qu’un homme de conquête ? de violence ? de bataille ?

— Oui.

— Vraiment ? eh bien, suis-moi, je te ferai peut-être changer d’avis, — dit l’empereur, après un moment de réflexion. Et se levant, il prit sa canne et son bonnet. Avisant alors Vortigern, qui jusque-là s’était tenu à l’écart : — Qu’est-ce que ce jeune et beau garçon-là ?

— C’est mon petit-fils.

— Octave, — dit l’empereur en se retournant vers le Romain, — voici un otage bien jeune ?

— Auguste prince, pour plusieurs raisons l’on a dû choisir ce jouvenceau. Sa sœur a épousé Morvan, simple laboureur, mais l’un des chefs bretons les plus intrépides ; dans cette dernière guerre, il commandait la cavalerie.

— Mais alors, pourquoi ne l’a-t-on pas amené ici, ce Morvan ? c’eût été un excellent otage ?

— Prince auguste, pour l’amener ici, il eût fallu d’abord le pren-