Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/257

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pelain, l’empereur avait continué et terminé de s’habiller à l’aide du serviteur de sa chambre. Ce costume, l’antique costume des Franks auquel Karl restait fidèle (sauf les jours de réception et d’apparat), se composait d’abord d’un haut de chausses d’épaisse toile de lin, que des bandelettes de laine rouge, croisées les unes sur les autres, assujettissaient autour des cuisses et des jambes, puis d’une tunique de drap de Frise, bleu saphir, maintenue par une ceinture de soie ; l’empereur endossait ensuite, pour la saison d’automne et d’hiver, une large casaque de peau de loutre ou de brebis (N). Karl, ainsi vêtu, s’assit sur un siège non loin d’un rideau destiné à voiler au besoin une des fenêtres donnant sur le balcon qui lui servait d’observatoire. Le serviteur sortit à un signe de Karl : resté seul avec Eginhard, Vortigern et Amael, il dit à ce dernier : — Vieillard, si j’ai bien écouté mon chapelain… un Frank, nommé Berthoald, a sauvé la vie de mon aïeul… Comment se fait-il que ce Berthoald et toi vous soyez le même personnage ?

— En deux mots, voici l’histoire, — dit Amael. — À quinze ans, poussé par l’esprit d’aventure, j’ai quitté ma famille de race gauloise, alors établie en Bourgogne. Après plusieurs traverses, j’ai réuni une bande d’hommes déterminés ; j’avais alors vingt ans. J’ai, par un honteux mensonge, pris un nom frank, me disant de cette race afin de gagner la protection de Karl-Martel. Pour l’intéresser davantage à mon sort, je lui ai offert mon épée, celle de mes hommes, peu de jours avant la bataille de Poitiers. À cette bataille, je lui ai sauvé la vie ; depuis lors, comblé par lui de faveurs, j’ai combattu sous ses ordres pendant cinq ans.

— Et ensuite ?

— Ensuite… honteux de mon mensonge et encore plus honteux de servir avec les Franks, j’ai quitté Karl-Martel pour retourner en Bretagne, mon pays natal… Là, je me suis fait laboureur.

— Et par la chappe de saint Martin, tu t’es fait aussi rebelle ! — s’écria l’empereur de sa voix glapissante, qui prit alors un ton de fausse