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tave au jouvenceau ; — je vais te mettre en évidence et te faire valoir. — Ce disant, Octave appliquait à la dérobée un si violent coup de houssine sous le ventre du cheval de Vortigern, que celui-ci, moins bon cavalier, eût été désarçonné par le bond furieux de sa monture ; ainsi frappée à l’improviste, elle se cabra, fit une pointe formidable, et s’élança si haut, que la tête de Vortigern effleura le soubassement de la terrasse où se tenait le groupe de femmes. La blonde enfant de quinze ans pâlit d’effroi, et cachant son visage entre ses mains, s’écria : — Le malheureux !… il est perdu !

Vortigern, cédant à l’impétuosité de son âge et à un sentiment d’orgueil, en se voyant l’objet des regards de la foule rassemblée en cercle autour de lui, châtia rudement son cheval, dont les bonds, les soubresauts devinrent furieux ; mais le jouvenceau, toujours plein de sang-froid et d’adresse, bien qu’il eût son bras droit en écharpe, montra tant de grâce dans cette lutte, que la foule s’écria en battant des mains : — Gloire au jeune Breton ! honneur au Breton ! — À ce moment deux bouquets de romarin tombèrent aux pieds du cheval, qui, enfin dompté, rongeait son frein en creusant le sol de son sabot. Vortigern relevait la tête vers la terrasse d’où l’on venait de lancer les bouquets, lorsqu’il entendit au loin un cliquetis formidable ; et soudain ce cri retentit : — L’empereur ! l’empereur ! — Aussitôt toutes les femmes disparurent du balcon pour descendre recevoir le monarque sous le portique du palais. La foule reflua en criant : — Vive Karl ! vive le grand Karl ! — Le petit-fils d’Amael vit alors s’approcher au galop une troupe de cavaliers ; on les eût pris pour des statues équestres en fer ; montées sur des chevaux caparaçonnés de fer, leur casque de fer cachait leurs traits : cuirassés de fer, gantelés de fer, ils portaient jambards de fer, cuissards de fer, boucliers de fer ; et les derniers rayons du soleil luisaient sur la pointe de leurs lances de fer (G) ; enfin l’on n’entendait que le choc du fer. À la tête de ces cavaliers qu’il précédait, et, comme eux, couvert de fer de la tête aux pieds, s’avançait un homme de taille