Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/242

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Octave ! — s’écria vivement Vortigern d’un air hautain, en interrompant le jeune Romain, — je ne veux pas être raillé ; j’ai pris d’abord tes paroles au sérieux… ton envie de rire, à peine contenue, me prouve que tu parlais par moquerie.

— Allons, mon hardi garçon, ne te fâche pas, je ne me moque point ; mais, respectant la candeur de ton âge, je me sers d’une image pour te dire la vérité. En un mot, cette friandise, dont moi, Karl, ses filles et, par Vénus ! tout le monde à la cour est plus ou moins glouton, c’est… l’amour !

— L’amour, — reprit Vortigern, rougissant et baissant pour la première fois les yeux devant Octave. Puis il ajouta dans son trouble croissant : — Mais, pour éprouver de l’amour, les filles de Karl sont donc mariées ?

— Ô innocence de l’âge d’or ! ô naïveté armoricaine ! ô chasteté gauloise  ! — s’écria Octave ; mais, voyant le jeune Breton froncer le sourcil à cette plaisanterie sur sa terre natale, le Romain ajouta : — Loin de moi la pensée de railler ton vaillant pays. Je te dirai donc, sans plus d’ambages, à toi qui me représentes Adonis, avant que Vénus lui eût traduit le sens du doux mot amour, je te dirai donc que les filles du grand Karl ne sont pas mariées ; il n’a jamais voulu leur donner d’époux.

— Par fierté ?

— Oh ! oh ! on dit, à ce sujet, bien des choses… Enfin, il ne veut pas se séparer d’elles ; il les adore, et, à moins qu’il n’aille en guerre, il les a toujours avec lui durant ses voyages, ainsi que ses concubines, ou, si tu le préfères, ses friandises, le mot effarouchera moins ta pudeur ; car, après avoir épousé ou répudié ses cinq femmes : Désidérata, Hildegarde, Fustrade, Himiltrude, Luitgarde, l’empereur s’est approvisionné de friandises variées, parmi lesquelles je te citerai, en passant, la succulente Mathalgarde, la doucereuse Gerswinthe, la piquante Regina, l’appétissante Adalinde, sans parler des autres saintes de cet amoureux calendrier ; car le grand Karl ne res-