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ment choisie par toi, Chrotechilde, quel était le caractère de mon petit-fils ?

— Oh ! madame, Theudebert était méconnaissable… Énervé, indécis, languissant, il n’avait plus que la volonté d’aller du lit à la table avec ses concubines… Car nous avions donné des compagnes à la Bilichilde… C’est à peine s’il avait le courage de chasser au faucon, divertissement de femme ; la chasse aux bêtes fauves était pour lui trop fatigante. Cela ne m’étonnait point ; né robuste, pétulant, aimant dans sa première enfance les jeux bruyants, le grand air, il était devenu chétif, pâle, étiolé, recherchant le demi-jour, comme si l’éclat du soleil eût blessé sa vue ; enfin, il annonçait devoir être de grande taille, et il est mort tout rabougri, presque imberbe !

— Mes vœux s’accomplissaient, Chrotechilde… Les débauches précoces énervent l’âme autant que le corps, et la postérité de Theudebert n’est pas née viable…

— De fait, je n’ai jamais vu d’enfants si chétifs… Quelle race, d’ailleurs, pouvait laisser un père nabot et presque idiot ?

— Et dès l’âge de douze ou treize ans, Theudebert disait-il encore fièrement : « Je suis roi d’Austrasie, moi ! »

— Non, certes, madame… car s’il nous arrivait par manière d’épreuve de lui parler des affaires de l’État, sous prétexte qu’il était roi, l’enfant vous répondait de sa voix allanguie et les yeux à demi fermés : « Grand’mère, je suis roi de mes femmes, de mes amphores de vin vieux et de mes faucons ! Régnez pour moi, grand’mère… régnez pour moi si cela vous plaît ! »

— Et cela m’a plu, Chrotechilde… Et de fait, j’ai régné en Austrasie, pour mon petit-fils Theudebert, jusqu’au jour où cette vile esclave Bilichilde, usant de son ascendant sur cet idiot, m’a chassée de Metz… m’a chassée, moi, Brunehaut !

— Encore ce souvenir, encore l’orage sur votre front, encore des éclairs dans vos yeux ! Mais pour Dieu, madame, l’esclave a été étranglée, l’idiot et son fils tués… j’oubliais même, pour compléter