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d’Amael, qui, se retournant sur sa selle, appela son petit-fils. Celui-ci, pour se rendre auprès de son aïeul, et cédant aussi à un mouvement de colère provoqué par sa discussion avec le jeune Romain, attaqua brusquement de l’éperon les flancs de son cheval ; l’animal, surpris, bondit si violemment, qu’en deux ou trois sauts il eut dépassé Amael ; mais alors Vortigern, retenant sa monture d’une main ferme, la fit ployer sur ses jarrets, et marcha de front avec son aïeul et l’autre guerrier frank. Celui-ci dit au vieillard : — Je ne m’étonne pas de la supériorité de votre cavalerie bretonne, en voyant un garçon de l’âge de ton petit-fils, malgré la blessure qui le gêne, manier ainsi son cheval ; toi-même, pour un centenaire, tu es aussi ferme en selle que ce jouvenceau.

— Il avait à peine cinq ans, que son père et moi nous mettions déjà cet enfant à cheval sur les poulains élevés dans nos prairies, — répondit le centenaire. Et son front s’étant légèrement assombri, sans doute au souvenir de ces temps paisibles, il reprit après un moment de silence, en s’adressant à Vortigern : — Je t’ai appelé pour savoir si tu ne souffrais pas davantage de ta blessure.

— Grand-père, je ne souffre presque plus, et, si vous le vouliez, je débarrasserais mon bras de cette gênante écharpe.

— Non, ta blessure pourrait se rouvrir, pas d’imprudence : pense à ta mère, à ta sœur et à son époux, qui te chérit comme un frère.

— Hélas ! cette mère, cette sœur, ce frère tant aimés, les reverrai-je un jour ?

— Patience, — reprit Amael à voix basse, de façon à ne pas être entendu du guerrier frank qui marchait à ses côtés, — tu reverras peut-être la Bretagne plus tôt que tu ne le crois… patience !

— Il serait vrai ! — s’écria impétueusement l’adolescent. — Oh ! grand-père, quel bonheur !

Mais le vieillard fit signe à Vortigern de se modérer, et il ajouta tout haut : — Je crains toujours que la fatigue de la route n’enflamme de nouveau ta blessure. Heureusement nous devons approcher du