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ris de souvenir… Il avait d’abord une peur, cet innocent ; mais comme vous voilà devenue sombre…

— Cette vile esclave ! cette Bilichilde, malgré les autres concubines que nous avons données à mon petit-fils Theudebert, n’avait-elle pas pris sur lui un funeste ascendant ?

— Si funeste, madame, qu’elle nous a fait toutes deux chasser de Metz et conduire prisonnières jusqu’à Arcis-sur-Aube, confins de la Bourgogne, royaume de votre autre petit-fils Thierry. Mais c’est là, madame, une vieille histoire : cette Bilichilde n’a-t-elle pas été, l’an dernier, étranglée par votre petit-fils (C), ce farouche idiot ayant passé de l’amour à la haine, et lui-même, après la bataille de Tolbiac, vaincu par son frère, que vous aviez déchaîné contre lui, n’a-t-il pas été, selon vos ordres, tonsuré, puis poignardé ? Enfin son fils, âgé de cinq ans, n’a-t-il pas eu la tête brisée contre une pierre (D) ? que voulez-vous de plus ?…

— Chez moi la haine survit à la vengeance, comme le poignard survit au meurtre.

— Et vous n’êtes point, madame, en ceci, raisonnable… Haïr au delà de la tombe, c’est naïf pour notre âge.

— Mais passons… Ainsi, ce que nous venons de dire ne t’ouvre point l’esprit…

— À l’endroit de ces deux jolies esclaves ?

— Oui…

— Non, madame…

— Poursuivons… Puisque ton intelligence est à ce point devenue obtuse… dis-moi, avant que nous n’ayons mis cette Bilichilde dans son lit, quel était le caractère de mon petit-fils Theudebert ?

— Violent, actif, déterminé, opiniâtre et surtout fort glorieux… À dix ans ou onze ans, il sentait déjà l’orgueilleuse ardeur de son sang royal, et disait fièrement : « Je suis roi d’Austrasie, moi ! »

— Et deux ans… un an même après qu’il a eu possédé cette esclave brune aux yeux verts et aux cheveux crépus, si judicieuse-