tour à tour je m’abandonnais au désespoir ou à une espérance insensée… ces longs tourments, je les pardonne à mon fils ; ce que je ne peux lui pardonner, c’est son alliance criminelle avec les oppresseurs de notre race, avec ces Franks maudits, qui ont asservi nos pères et asservissent nos enfants !
— Ma mère, écoutez-moi… Mon crime est grand ; mais, je vous le jure, avant de vous avoir revue, je connaissais le remords. Voici la vérité. Il y a dix ans, j’ai quitté notre vallée de Charolles ; pourtant j’y vivais heureux auprès de ma famille ; mais, que vous dirai-je ? je cédai à la curiosité, à un invincible besoin d’aventures, car, selon moi, en dehors de nos limites, un monde tout-nouveau devait s’offrir à mes yeux. Un soir donc je partis, non sans verser des larmes.
— Dans mon enfance, — dit le vieillard — mon père m’a souvent raconté que Karadeuk, l’un de nos aïeux, avait aussi abandonné sa famille pour courir la Bagaudie… Rosen-Aër, que le souvenir de notre aïeul vous rende indulgente pour votre fils !
— Les Bagaudes et les Vagres guerroyaient contre les Romains et contre les Franks, nos oppresseurs, au lieu de s’allier et de combattre avec eux, ainsi que l’a fait mon fils.
— Vos reproches sont mérités, ma mère ; la suite de ce récit vous prouvera que plus d’une fois, je me les suis adressés. Presque au sortir de la vallée, je tombai entre les mains d’une bande de Franks. Ils revenaient d’Auvergne et se rendaient dans le nord ; ils me firent esclave. Leur chef me garda pendant quelque temps pour soigner ses chevaux et fourbir ses armes. J’avais l’instinct de la guerre ; la vue d’une armure ou d’un beau cheval me passionnait dès l’enfance. Vous le savez, ma mère ?
— Oui, vos jours de fête étaient ceux où les colons de la vallée se livraient à l’exercice des armes…
— Emmené esclave par ce chef frank, je ne cherchai pas à fuir ; il me traitait avec assez de douceur. Puis, c’était pour moi un