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m’a tenté ? Non, non ; d’abord cet objet n’a pas grand prix ; ensuite, depuis douze ans que je travaille, sans salaire, à l’atelier du monastère, j’aurais bien pu, en m’enfuyant, me payer ainsi de mes peines.

— Sans doute, maître Bonaïk ; mais alors pourquoi avoir emporté cette crosse ?

— Que voulez-vous, mes enfants, j’aime mon art d’orfévre ; je ne trouverai plus à l’exercer pendant le peu de temps que j’ai encore à vivre… J’ai gardé mes deux meilleurs burins, je veux ciseler cette crosse si finement, si purement, qu’en y travaillant un peu tous les jours, j’emploierai à ce travail le restant de ma vie.

— Vous qui nous félicitez d’être des garçons de précaution, maître Bonaïk, parce que nous avions songé à l’outre et aux provisions, votre prévoyance dépasse la nôtre.

— Bon père, et vous, mes amis, — dit Amael en s’adressant au vieil orfévre et aux apprentis, — veuillez vous approcher ; ce que j’ai à dire à ma mère, vous l’entendrez aussi ; j’ai fait le mal, je dois avoir le courage de l’avouer tout haut…

Rosen-Aër soupira et attendit le récit de son fils avec une curiosité triste et sévère. Septimine, la regardant d’un air presque suppliant, semblait implorer pour Amael l’indulgence de cette mère si justement, si douloureusement irritée.

— Depuis que tout péril a cessé pour moi, — reprit Amael, — ma mère, durant notre longue marche de jour et de nuit, ne m’a pas adressé la parole ; elle a refusé l’appui de mon bras, préférant celui de cette pauvre enfant, qui lui a sauvé la vie. La sévérité de ma mère est juste, je ne m’en plains pas, j’en souffre… Puisse le récit sincère de mes fautes, puisse mon repentir me mériter mon pardon !

— Une mère pardonne toujours, — dit Septimine en regardant timidement Rosen-Aër ; mais celle-ci répondit d’une voix émue et grave :

— L’abandon de mon fils a, depuis des années, chaque jour déchire mon cœur ; en proie à des angoisses sans cesse renaissantes,