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— Vous, votre fils et Septimine, restez près de la fenêtre, penchez-vous au dehors, vous seriez suffoqués, — dit le vieillard à Rosen-Aër après un instant de réflexion. Et poussant vers la croisée Amael, sa mère et la Coliberte, il dit à l’un des apprentis : — Vide sur le brasier de la forge la boîte remplie de soufre et de bitume…

Le jeune esclave obéit machinalement, et au moment où Ricarik heurtait à la porte à coups redoublés, une fumée sulfureuse, bitumineuse, commençant de se répandre dans l’atelier, devint bientôt si intense, que l’on voyait à peine à deux pas devant soi. Aussi, lorsque le vieillard alla enfin ouvrir la porte à l’intendant, celui-ci, aveuglé, suffoqué par une bouffée de cette épaisse et âcre vapeur, se recula vivement au lieu d’entrer.

— Avancez donc, seigneur intendant, — dit Bonaïk ; — c’est l’effet de la fonte à la mode du grand Éloi... Nous n’avons pu vous ouvrir plus tôt, de peur de laisser refroidir les métaux en fusion que nous versions dans le moule.. Avancez, cher seigneur, venez donc voir la fonte…

— Va-t’en au diable ! — répondit Ricarik en toussant à s’étrangler et reculant au delà du seuil. — Je suis suffoqué, aveuglé…

— C’est l’effet de la fonte, cher seigneur. — Puis avisant le trousseau de clefs à la ceinture de l’intendant, qui, des deux mains, frottait ses paupières endolories par l’âcreté de la fumée, Bonaïk le saisit à la gorge et s’écria : — À moi, mes enfants, il a les clefs des portes !

À l’appel du vieillard, les apprentis et Amael accoururent, se précipitèrent sur l’intendant, étouffèrent ses cris en lui serrant le cou, pendant que Bonaïk, s’emparant du trousseau de clefs, disait : — J’ai les clefs. Entraînez cet homme dans l’atelier, et jetez-le vite dans le fossé ; ce sera plutôt fait. Excusez, cher seigneur Ricarik, c’est la fonte…

Les ordres du vieillard furent exécutés malgré la résistance furieuse du Frank… Bientôt l’on entendit le bruit d’un corps tombant dans l’eau… — Et maintenant, — s’écria le vieillard, — venez tous !