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cesse ; c’est si jeune, si gai, si fou… ça ne demande qu’à s’envoler de sa cage pour faire admirer son plumage et son ramage. Baisseras-tu les yeux, Blandine ! oser regarder ainsi en face notre auguste reine ! !

Blandine, en effet, au lieu de fuir le noir regard de Brunehaut, le cherchait, le provoquait d’un air malin, souriant et assuré ; aussi la reine lui dit-elle après un long et minutieux examen :

— L’esclavage ne t’attriste pas, toi ?

— Au contraire, glorieuse reine, car pour moi l’esclavage a été la liberté.

— Comment cela, effrontée ?

— J’avais une marâtre, quinteuse, revêche, grondeuse ; elle me faisait passer sur le froid parvis des basiliques tout le temps que je n’employais pas à manier l’aiguille ; cette vieille furie me battait, lorsque par malheur, levant le nez de dessus ma couture, je souriais aux garçons par ma fenêtre ; aussi, grande reine, quel sort que le mien ! mal nourrie, moi si friande ! mal vêtue, moi si coquette ! sur pied au chant du coq, moi si amoureuse de me dorloter dans mon lit ! de sorte que grande a été ma joie quand votre invincible petit-fils, ô reine illustre ! est approché l’an passé de Tolbiac, où j’habitais.

— Pourquoi ta joie ?

— Pourquoi, glorieuse reine ? Oh ! je savais, moi, que les guerriers franks ne tuent jamais les jolies filles ; aussi, me disais-je : « Peut-être je serai prise par un baron de Bourgogne, un comte ou même un duk, et une fois esclave, si je m’en crois, je deviendrai maîtresse… car l’on a vu des esclaves… »

— Devenir reine, comme Frédégonde, n’est-ce pas, ma mie ?

— Pourquoi donc pas, quand elles sont gentilles ? — répondit audacieusement cette fillette sans baisser les yeux devant Brunehaut qui l’écoutait et la contemplait d’un air pensif. — Mais, hélas ! — reprit Blandine avec un demi-soupir, — je n’ai pas eu cette fois le bon-