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hésiter : il faut nous seconder ou nous trahir. Nous trahir serait une méchante action, cependant vous n’avez d’autre intérêt à cette évasion que l’espoir incertain de recouvrer votre liberté. Voulez-vous nous trahir ? dites-le franchement, tout de suite… alors je n’entreprendrai rien, le sort de cette digne femme et de son fils s’accomplira… Si, au contraire, avec notre aide, nous parvenons à sauver Amael et à sortir de cette abbaye, voici mon projet : Il y a, dit-on, près de quatre journées de marche d’ici aux limites de l’Armorique, seule terre libre de la Gaule aujourd’hui. Nous tâcherons d’y arriver ; une fois en Bretagne, nous n’aurons rien à craindre, nous prendrons la route de Karnak ; nous y trouverons mon frère ou ses descendants, notre tribu vous accueillera comme des enfants de la famille ; d’apprentis orfévres, vous deviendrez apprentis laboureurs, à moins que vous ne préfériez continuer votre métier dans quelques villes de Bretagne ; non plus en artisans esclaves, mais en artisans libres. Réfléchissez mûrement, et décidez-vous : la journée s’avance, le temps est précieux.

Justin, l’un des apprentis, après s’être consulté à voix basse avec ses compagnons, répondit au vieillard : — Notre choix n’est pas douteux, maître Bonaïk ; nous tâcherons, comme vous, de rendre un fils à sa mère ; quoi qu’il arrive, nous partagerons votre sort !

— Merci, oh ! merci, généreux enfants ! — dit Rosen-Aër les yeux remplis de larmes. — Hélas ! je ne peux vous offrir que la reconnaissance d’une mère !…

— Et maintenant, — reprit vivement l’orfévre, qui parut retrouver la vivacité de sa jeunesse, — assez de paroles, agissons ! Deux d’entre vous vont s’occuper de scier les barreaux de la fenêtre de l’atelier, mais sans les faire tomber.

— C’est entendu, père Bonaïk, — dit Justin ; — les barreaux resteront en place… il ne faudra plus qu’un coup de lime pour les mettre à bas.

— Bon ; il n’y a, du reste, pas à craindre d’être vu au dehors ;