Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/173

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à boire au jeune chef, qui la couvait d’un œil étincelant, elle ajouta : — J’ai bu selon tes vœux ; maintenant, bois aux miens !

— Quels qu’ils soient, sainte abbesse ; cette coupe fût-elle remplie de poison, je la viderai, je le jure par ton beau bras aussi blanc que la neige !

— Alors, — dit l’abbesse en jetant un regard pénétrant sur le jeune homme, — buvons au juif Mardochée !

Berthoald portait la coupe à ses lèvres ; mais au nom du juif il frissonna, posa brusquement le vase d’or sur la table, ses traits s’assombrirent, et il s’écria presque avec effroi : — Le juif Mardochée !…

— Allons, par Vénus ! la patronne des amoureux, ne tremble pas ainsi, mon vaillant !

— Boire au juif Mardochée, moi !…

— Tu m’as dit : Buvons à l’amour… j’ai bu, j’y boirai encore, si tu veux, — ajouta l’abbesse en regardant fixement Berthoald ; — tu m’as juré par la blancheur de ce bras, — et elle releva davantage encore sa large manche, — tu m’as juré de boire selon mes vœux, accomplis ta promesse !

— Femme ! — reprit Berthoald avec impatience et embarras, — qu’est-ce que ce juif ? pourquoi veux-tu que je…

— Ah ! ah ! ah ! — fit Méroflède en riant aux éclats et interrompant le jeune chef, — moi, qui te croyais un brave ! tu te troubles pour si peu ?… Sais-tu pourquoi je veux boire au juif Mardochée ?…

— Non.

— Écoute-moi… Si Mardochée ne t’avait pas vendu comme esclave au seigneur Bodégésil, tu n’aurais pas, une nuit, volé le cheval et l’armure de ton maître pour courir les aventures en te donnant à ce Karl endiablé, toi, Gaulois de race asservie, pour noble de race franque, et fils d’un bénéficier dépossédé… Karl, dont tu es devenu un des meilleurs capitaines, ne t’aurait pas octroyé cette abbaye. Donc