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— Ne dis-tu pas avec un sérieux fort plaisant, que moi et mes hommes, qui depuis la bataille de Poitiers guerroyons contre les Arabes, les Frisons et les Saxons, nous tournerons casaque devant cette poignée de meurtriers et de larrons, renforcés de pauvres colons qui ont quitté la charrue pour la lance, et la pioche pour la fronde !

— Guerrier fanfaron ! — s’écria Broute-Saule, qui était revenu prendre sa place à la tête du cheval de Méroflède, — veux-tu que nous prenions chacun une hache ? nous nous mettrons nus jusqu’à mi-corps, et tu verras si les hommes d’ici sont des lâches !

— Tu me parais, toi, un vaillant garçon, — reprit Berthoald en souriant ; — si tu veux rester avec nous dans l’abbaye, tu y trouveras ta place.

Broute-Saule allait répondre… Méroflède lui coupa la parole et dit à Berthoald : — D’ici à demain matin, nous ferons trêve… Tu dois être fatigué ; on va te conduire au bain, cela te délassera, après quoi nous souperons ; je ne te donnerai pas un festin pareil à ceux que sainte Agnès et sainte Radegonde donnaient à leur poëte favori l’évêque Fortunat, dans leur abbaye de Poitiers ; mais enfin tu ne jeûneras point. Puis s’adressant à Ricarik : — Tu as mes ordres, suis-les.

Méroflède, en parlant ainsi, s’était rapprochée de la porte intérieure de l’abbaye. D’un bond léger, elle descendit de sa monture et disparut dans le cloître après avoir jeté la bride de son cheval à Broute-Saule ; le jouvenceau la suivit d’un regard presque désespéré, puis il regagna lentement les écuries, après avoir montré de loin le poing à Berthoald. Celui-ci, de plus en plus frappé des étrangetés de cette abbesse, demeurait pensif, lorsque Ricarik, l’arrachant à sa rêverie, lui dit, en lui montrant deux esclaves : — Descends de cheval, ces esclaves te conduiront au bain ; ils t’aideront à te désarmer, et comme tes bagages ne sont pas ici, ils te donneront de quoi te vêtir convenablement, des chausses et une robe toute neuve que je n’ai jamais portée ; tu endosseras ces vêtements, si tu préfères quitter ta