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rebord de la chaussée et à y remonter, non sans peine et ruisselant d’eau, tandis que son cheval éperdu s’éloignait en nageant vers le milieu de l’étang, où, épuisé de fatigue, il se noya.

— Trahison ! — s’écria Berthoald en tirant vainement son épée, car cette profonde coupure remplie d’eau avait vingt pieds de large ; et pour la combler, selon l’art de la guerre, il eût fallu aller au loin couper cinq ou six cents fascines et commencer un véritable siége ; de plus, la nuit s’assombrissait de plus en plus. Tandis que le jeune chef se consultait avec ses compagnons sur cette occurrence imprévue, une voix, sortant de derrière la haie dont était couronné le retranchement, dit : — Cette volée de pierres est une pluie de roses en comparaison de ce qui vous attend si vous tentez de forcer ce passage.

— Qui que tu sois, tu payeras cher cette attaque ! — s’écria Berthoald. — Nous venons ici par ordre de Karl, chef des Francs, qui m’a fait don, à moi, Berthoald, ainsi qu’à mes hommes, de l’abbaye de Meriadek.

— Et moi, — reprit la voix, — je te fais don, en attendant mieux, de cette volée de pierres.

— Prends garde ! — s’écria Berthoald, — tous mes compagnons ne sont pas là ; ils nous suivent à quelque distance. Nous ne pourrons ce soir forcer le passage ; mais nous camperons cette nuit sur cette chaussée ; demain, au point du jour, nous enlèverons ce retranchement ; or, je t’en préviens, songes-y, l’abbesse de ce couvent et ses nonnes seront traitées comme on traite les femmes en ville conquise…

— Notre sainte dame Méroflède se rit de tes menaces ; de plus, elle a chrétiennement pitié de toi et de tes compagnons, — répondit la voix ; — l’abbesse consent à te recevoir, toi, chef de ces bandits ; mais seul, dans le couvent… tes compagnons camperont cette nuit sur la levée ; demain, au point du jour, tu viendras les rejoindre ; quand tu leur auras raconté ce que tu as vu dans le monastère, et de